Le Garde Rêves

Chapitre 5

Les heures précédentes s'inscrivent dans le livre noir de ma vie, celui que nous tenons tous, caché au plus profond de notre être et dont l'encre est aussi foncée que ses pages. Noir sur noir, comme pour éviter de relire le souvenir de nos hontes.

Après le réveil, j'ai dû passer par la case sanitaire. Ce que je n'avais pas réalisé, c'est que je portais une sonde. Mon corps engourdi me faisait tant souffrir, qu'entre le baxter et tous ces fils qui me connectaient au monitoring de l'hôpital je n'avais pas perçu qu'une sonde était insérée en moi. Il faut dire que depuis le temps, mon organisme a dû s'habituer au corps étranger. John me l'a ôtée de manière très professionnelle, comme s'il avait été infirmier toute sa vie. Les éclaboussures jaune et piquantes ne l'ont pas gêné, alors que moi... Plus tard, il m'a déposée sur la lunette des toilettes pour que je puisse me soulager. J'ai littéralement tiré la chasse sur ma féminité.

Je suis à présent revenue dans ma position habituelle, allongée sur le lit d'un motel miteux. John s'approche de moi et me tends une bouteille en plastique. Le liquide ressemble à du milkshake, je hume le flacon. Un parfum de vanille. Il répond avant que je ne demande :

— C'est un repas protéiné liquide. C'est ce que l'on donne aux patients incapables d'avaler de la nourriture, les cancéreux affaiblis bien souvent. C'est la première étape pour réhabituer ton estomac.

Je goûte, pas mauvais. Je déglutis. Mon estomac proteste. Une gorgée suffira.

— John, il faut que tu m'expliques.

Il me lance un regard sévère. Je bois une seconde gorgée. Ce truc bourré d'épaississant a un côté dérangeant. Je m'essuie d'un revers avant de reprendre :

— C'est quoi ce délire ? Cette enquête sur mon compte ? Que sais-tu sur mon père ? C'est quoi les Gardes Rêves ? Et d'où sort ce pervers de Justin!?

— Bois...

La troisième gorgée devient vraiment difficile. Mon estomac ferme sa vanne d'accès. Je pose la bouteille sur la table de nuit.

— Tu es obligée de le boire, tu peux le poser pour le moment, mais il faut aller au bout pour solliciter l'élasticité de ta paroi stomacale.

— Mais John, d'où vient ce langage ? En plus d'être boxeur, rugbyman et infirmier, t'es chirurgien ?

— En quelque sorte...

Sa réponse me laisse perplexe. J'ouvre une bouche furibonde qu'il intercepte d'une main levée.

— Attends, attends s'il te plaît. Je comprends tes mille questions, mais il faut d'abord parer au plus urgent.

Il m'observe guettant ma réaction, je croise les bras.

— Ai-je le choix ?

— Pas vraiment...

Un silence.

— Je t'écoute.

— La première chose que tu dois savoir, c'est que tu es en danger lorsque tu quittes la réalité.

— Tu veux dire quand je m'endors ?

— Non, je veux dire quand tu quittes la réalité. C'est important que tu comprennes le principe de réalité. Quand tu dors dans un sommeil léger ou même très profond tu ne rêves pas. Le problème se situe durant le sommeil paradoxal...

— Je rajoute prof dans la liste de tes qualifications ?

Il m'ignore et secoue la tête.

— Tout le monde rêve durant son sommeil paradoxal. Compte en moyenne vingt minutes de rêve environ, cinq fois par nuit.

— Et c'est lorsque je rêve que je suis en danger.

— Non.

J'écarquille les yeux.

— Non ?

— Théoriquement, non. En règle générale, lorsque les gens rêvent, leur esprit reste dans la réalité. Un monde créé par leur subconscient mais un monde qui se situe toujours dans notre réalité. Dans certains cas, ils font des rencontres mais cela relève de l'exception.

Il me lance un regard intense.

— Toi, tu te balades ailleurs.

Un silence s'installe.

— Je ne suis pas certaine de te suivre.

— C'est normal, le contraire m'aurait étonné. Allons-y par étape, une pièce à la fois et tu verras, le puzzle va se construire. Ce que tu dois savoir, c'est que...

— Je suis en danger lorsque je quitte la réalité.

Il approuve.

— Oui, et je dois t'apprendre à revenir parmi nous par tes propres moyens.

Il observe sa montre.

— Nous n'avons pas beaucoup de temps, tu dois maîtriser ta leçon avant ce soir.