Chapitre 40

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Mes pieds s'aplatissent sur le parquet, le murmure s'intensifie. Les battements dans ma poitrine s'accroissent et c'est en apnée que je pénètre dans cet écrin mystique. À l'intérieur, quelques bougies font danser les décors dans un jeu d'ombre et de lumière. La case rectangulaire est soutenue par deux piliers centraux autour desquels, de part et d'autre de la pièce, une rangée de chaises sont alignées en vis-à-vis. Avec son centre vide et ses sièges sur le pourtour, l'agencement m'évoque la disposition d'une salle de conseil. Soudain, un mouvement m'arrache une pulsation. Au fond de la pièce, un homme m'attend. Comme s'il faisait partie du décor, la forme de son être se mêle aux ombres dansantes. Les gravures d'hommes difformes ondulent au milieu d'étranges créatures sculptées dont les yeux réfléchissants me lancent des regards inquiétants. Les ornementations dégagent une certaine expression, je ne les perçois pas comme agressives, mais plutôt curieuses. Au fond de la pièce, j'observe un nouveau mouvement, plus franc cette fois. L'hôte s'avance vers moi.

— Kia Ora Sydney.

— Kia Ora Rua.

J'ouvre la bouche pour oser une question, mais un doigt levé de sa part m'intime le silence. En rythme, il reprend son incantation laconique. D'un léger mouvement du visage, il m'indique la rangée de chaises à gauche. Je choisis celle du milieu et m'assieds. Une sensation étrange s'empare de moi, mélange de désir indiscret et de retenue. Ma raison s'interroge sur ma présence et m'ordonne de fuir. Mon cœur et mon âme en revanche me confortent dans ma décision, mon être sait que je suis en passe de vivre un moment unique.

Mon esprit ondule au fil de mes pensées comme les flammes des bougies disposées à intervalles réguliers. Le murmure devient plus fort, ma tête tourne, un claquement résonne. Rua utilise deux pierres qu'il heurte l'une contre l'autre. La seconde percussion me secoue l'intérieur, c'est comme si quelque chose se décollait en moi. Lorsque les pierres claquent pour la troisième fois, le plus étrange des phénomènes se produit.

Je suis debout au centre de la pièce, entre les deux piliers centraux.

Face à moi Rua me sourit.

Quelque chose d'anormal opère. Je suis comme spectatrice de mon corps. J'ai la sensation d'être debout, au centre de la pièce et pourtant, sur la gauche, assise, le regard perdu dans le vide, Sydney patiente, alors que moi, moi, je suis ici, debout, comme détachée de mon entité physique. Mon visage revient vers Rua et lui aussi est comme dédoublé. Au fond de la pièce, son corps se tient debout et poursuit l'incantation, mais devant moi, son esprit se dresse, armé de son sourire et de sa bienveillance.

Un mouvement de sa paume m'incite à ne pas intervenir. Je l'observe s'approcher de mon corps immobile sur sa chaise. Je retiens mon souffle. Son esprit se dirige vers mon entité physique. Il glisse sa paume en direction de mon cœur. Toujours spectatrice, je l'observe me traverser comme si son esprit n'avait aucune consistance matérielle. Sa main plonge littéralement à l'intérieur de mon corps. Je ressens un léger frémissement au niveau de ma poitrine, comme si malgré la distance, ma conscience restait connectée à mon corps. Rua ramène son avant-bras vers lui. Il sort quelque chose de mon être. Dans sa main luit une lueur bleutée. Il se retourne avec dans sa paume, une sphère énergétique éblouissante. Les reflets bleu électrique colorent la pièce pour lui donner une aura surréaliste. D'un geste, Rua incline le poignet et souffle dans la direction opposée de la pièce, là où est disposée la seconde rangée de sièges vides.

Au centre de la case, je ressens la structure de l'environnement se modifier. Les deux piliers sont comme une ligne, une frontière, un passage entre deux mondes. Au centre, l'impression d'être à cheval entre le matériel et l'au-delà perturbe mes sens. La sphère d'énergie se transforme en halo fantomatique. Poussée par le souffle de Rua, l'aura nimbée d'azur flotte en direction de la frontière. Elle traverse la ligne de démarcation créée par les deux piliers centraux pour poursuivre sa route vers les sièges opposés. Sur la rangée de chaises se crée une forme, une silhouette, d'abord translucide, ensuite de plus en plus précise. Je reconnais les traits du vieux monsieur qui m'avait interpellée dans l'au-delà. Un changement opère dans la pièce et interrompt mon observation. Un froid, un froid glacé s'empare des lieux.

Le Garde RêvesOpowieści tętniące życiem. Odkryj je teraz