Chapitre 4

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Je leur ai tout raconté, tout. Depuis l'accident jusqu'au coma, ce que j'y ai vu, ce que j'y ai fait. Je lui ai tendu mon calepin bleu dans lequel j'avais entamé mes investigations quelques heures plus tôt. Loïs se l'est approprié et l'a complété de multiples annotations. J'ai lu dans son regard le scepticisme. J'imagine que cela fait partie de sa formation scientifique. Néanmoins, sceptique ne signifie pas incrédule. Pour elle, il existe une explication rationnelle. Le doute s'est tout de même immiscé lorsque ma description de son kot universitaire concordait en tout point avec sa réalité. Ce que je prenais pour ma chambre à Mons était en fait la sienne à Paris. Pendant toutes ces années, je me suis promenée dans la vie de ma meilleure amie. Oswald m'a immédiatement qualifiée de divergente, ce qui a provoqué une réaction instantanée : Loïs lui a balancé une tarte sur le dessus du crâne me laissant une sensation de déjà-vu.

Et puis, le moment redouté sonna. Articuler me demanda beaucoup d'efforts. Lorsque je lui ai décrit son visage mutilé, et l'interprétation liée à cette prémonition, un silence de mort s'est emparé de la pièce, un silence de deuil. Un silence qui fut brisé par trois coups sur la porte. C'était Randall qui venait nous annoncer que le dîner était servi.

La salle à manger s'étend sur une plateforme en baie vitrée. Surélevée, elle déborde de la maison comme une annexe rectangulaire orientée en direction de la mer. Sa disposition donne une vue imprenable sur la forêt qui recouvre la friche australienne. Seule une bande bitumée vient trancher ce tapis verdoyant pour aboutir dans le lointain, sur un arrondi ensablé. Dans l'horizon bleuté, l'océan bruisse dans un mouvement moussant. Les rouleaux n'attendent qu'une planche de surf. L'Australie et ses vagues puissantes, le Pacifique sauvage dans toute sa vigueur qu'un soleil rougeoyant réchauffe de ses derniers rayons, spectacle entre le rose et l'orange qui meurt sur une mer pastel.


Randall me gratifie d'une claque sur l'épaule, comme si j'étais une vieille camarade de pêche. Je crois qu'au travers de ses yeux c'est un peu Papa qui transparaît. Alors, je me contente de sourire, d'être une bonne fille pour lui offrir l'espace d'un souvenir, l'image de l'ami d'autrefois.

— Allez viens, je suis allé chercher de quoi te remettre sur pied.

La porte s'ouvre. De l'autre côté de la pièce, Oswald entre avec un énorme plateau garni de hamburgers et de frites. Randall observe les victuailles d'un regard satisfait.

— Ce gus sait y faire avec la boustifaille, il faut le lui laisser.

Oswald ignore le qualificatif et garde cet air jovial qui lui va si bien. Nous nous installons à table pendant qu'Oz sert les assiettes.

Du champagne, du vin tricolore, de la bière, des cidres locaux, des jus frais, une vaisselle étincelante et un panorama à couper le souffle habillent notre salle à manger. Sur le côté, une demi-douzaine de quotidiens et de magazines attendent d'être lus. J'ai vraiment l'impression de me trouver dans un hôtel de luxe. Randall bouscule sa chaise et s'assied en bout de table. Tout en muscles, l'âge n'a pas entaché sa forme physique. Son cou tendu comme une corde trahit la vitalité qui coule encore en lui. Son regard inspecte l'abondance avant de revenir vers moi.

— Être propriétaire d'une mine d'or a du bon, je te l'accorde.

Il me sourit d'un air crâneur et m'invite à m'asseoir. Au fond de la pièce, un insert à bois d'agrément prétend flamber des bûches, l'illusion est parfaite. Malgré l'opulence, l'apparat, l'indécente richesse qui m'entoure, c'est une véritable chaleur qui m'enveloppe. Celle qui ne connaît pas d'artifice et que trahissent les faux semblants. Ce soir, pour la première fois, je suis sûre et certaine d'une chose, je suis à la maison, entourée des dernières personnes qui m'aiment.

Le Garde RêvesWhere stories live. Discover now