Partie 4 - Chapitre 1

26 3 0
                                    

Le Garde Rêves

De la buée s'échappe de ma bouche. Un frisson me parcourt. Je suis dans un couloir gelé. Sur le sol, un vieux tapis rouge décrépi craque sous mes pas. Dans le corridor, des portes aux peintures écaillées se font face à intervalles réguliers. Un hôtel, un hôtel défraîchi, un hôtel à l'abandon, un hôtel glacial.

J'ai quitté la chambre de Randall et me suis retrouvée dans ce couloir infini. J'avance, à pas menus dans un corridor dont le tracé forme une longue boucle. Après un temps indéfinissable, je m'arrête au hasard devant un numéro. J'actionne tout doucement la poignée dont le grincement me fait serrer les dents. Une aspiration, ou plutôt une dépression retient l'ouverture. J'ai l'impression de pénétrer dans un monde pressurisé. J'entre et la lumière d'un soleil d'automne inonde mon regard. En plein air, mes yeux plissés distinguent un chemin au milieu d'une allée de cyprès. Je me sens minuscule. Hésitante, j'explore cet environnement nouveau. Mes baskets foulent un gravier gris. Une sensation dérangeante me colle à la peau. Une ombre se dessine dans ce panorama automnal. Je distingue un large bâtiment en baie vitrée. La construction surélevée domine une plaine remplie de colonnes en pierre bleue. De-ci, de-là s'élèvent de petites stèles en marbre ou en granit, des gravures y sont incrustées, illisibles.

Sans m'en rendre compte, je me suis avancée devant l'entrée du bâtiment. Un immense garde en costume de pompes funèbres se tient sur le perron. Sa peau est sombre et claire, comme si ses origines respiraient les vents insulaires plutôt que la souche africaine. Sur le côté de son visage, des signes kabbalistiques pigmentent sa peau. Immense, il ferait fureur sur un terrain de rugby ou dans une arène de gladiateurs. Son attention se porte sur un individu étrange, un monsieur âgé à la peau translucide, coiffé de cheveux gris. Ils semblent tous deux être en conversation. Je profite de l'aubaine pour me faufiler.

À l'intérieur, une odeur de cigarette me picote les narines. Une pièce immense parsemée de tables rondes. Une fumée bleutée plane dans l'air et me rappelle les atmosphères chargées de tabac. Sans m'en apercevoir, je me suis avancée. Je me retourne, mais ne distingue plus l'entrée. Au milieu des tables, je me sens perdue. Un vent de panique s'empare de moi. C'est alors qu'une main me frôle le dos. Le contact est glacé et le frisson m'électrise.

Le vieil homme de tout à l'heure me sourit avec insistance. Sa peau fine, presque translucide me dévoile un réseau de veines à peine bleutées.

— Venez vous asseoir.

Dans la seconde qui suit, nous sommes attablés au centre de cette foule immense. Terrorisée, mes jambes tremblent sous la nappe.

— N'ayez crainte mon enfant, je ne suis qu'un pauvre vieillard qui ne parvient pas à quitter sa table.

Quelque chose en lui me donne la chair de poule, ses yeux sont vitreux et absents de vie. Je voudrais me lever, mais n'y parviens pas.

— Veuillez transmettre ceci à mon petit-fils.

Un susurrement s'échappe de sa bouche. Je tends l'oreille, mais ne déchiffre rien. Son murmure devient un souffle, un souffle bleuté comme le halo qui plane au-dessus de nos têtes. La brume avance dans ma direction, je tente de fuir, mais suis prisonnière, comme liée à ce siège qui ne m'appartient pas. La fumée s'approche de mon visage, je bloque ma respiration, mais elle pénètre en moi, je peux la sentir s'insinuer à l'intérieur de mon être. Elle s'immisce par tous mes pores comme une infection contagieuse. Je hurle :

— Nooon! Stop! Arrêtez... Je veux juste TROUVER MAMAN !

Dans la seconde, un changement opère, une sensation immédiate, un soulagement, voire un sentiment de bien-être. Quelque chose derrière moi. Je me retourne pour recevoir une gifle, une grosse gifle, au moment de l'impact l'image de maman apparaît. Ma joue claque, mes yeux se ferment, les larmes perlent. J'ai l'impression qu'elle est toute proche, que mon appel a fait écho. La douleur est violente, intense, mais éphémère. Je ne ressens déjà plus qu'un pincement. J'ouvre les yeux. Je suis devant la porte du couloir. Maman n'est plus. Je pose une main sur ma joue et m'accroche à ce contact. C'était-elle, j'en suis certaine. C'est comme si grâce à ce choc elle était parvenue à m'arracher de ce monde dont je ne fait pas partie. Elle m'a sauvée en employant la manière fort. Au loin, les cyprès tanguent au gré du vent et je devine les ombres de l'étrange bâtiment que je viens de quitter. Sans hésiter, je claque la porte et plonge vers le corridor. Sauvée, je soupire, mais mon soulagement n'est que trop bref. Là, dans le couloir, une ombre, une silhouette, je suis attendue. Justin se tient là, juste en face, et il avance, les traits défigurés par la colère.


Le Garde RêvesHikayelerin yaşadığı yer. Şimdi keşfedin