Chapitre 13

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Jeudi — 13 heures

Je rentre dans l'amphithéâtre comme si je pénétrais dans l'antre du savoir. Une alcôve de connaissance, un écrin accueillant que beaucoup d'élèves redoutent, mais qui me parle. J'entends son doux murmure. Sa mélodie laisse planer un air de mystère, une énigme pourtant bien évidente : entre ces rangs de pupitres bien serrés se cache un secret, celui de la réussite, encore faut-il s'y asseoir. Aujourd'hui, j'y suis bien installée. Encadrée par Oswald et Élo, je savoure l'instant.

Ce cours de psycho générale est particulier, il fait partie du tronc commun, nous le partageons avec la classe d'économie. Pour l'occasion, le nombre d'élèves flirte avec les trois cent cinquante. Trois cent cinquante étudiants de premières, les regards se croisent, les corps se frôlent dans une véritable émulsion hormonale.

Le professeur Charles entre avec ce mélange de flegme et d'élégance qui le caractérise. Son regard brille de sapience, mais son pas frotte d'ennui. Tout en contraste, il s'installe sur l'estrade. Il porte une écharpe claire sur un cou dénué d'ampleur, c'est avec la plus grande des simplicités qu'il s'adresse à nous.

— Bonjour à tous !

Silence.

— Que ceux qui ont lu Freud lèvent la main !

La moitié de l'arène répond du bras.

— Que ceux qui ont vraiment lu Freud gardent la main levée !

Une bonne vingtaine d'élèves se ravisent, ce qui génère un léger rire dans la salle.

— Que ceux qui ont aimé et qui adhèrent gardent la main levée.

Une hésitation flotte dans les rangs.

— Laissez-moi vous dire, très chers élèves, que Freud faisait partie des grands névrosés de sa génération ! Lorsque vous lisez ses principes et conclusions, c'est sa propre psychanalyse que vous ingérez.

Un silence. Cet homme sait captiver son auditoire.

— Sans dire que ses fondements soient inintéressants, je vous invite à garder à l'esprit un mot en toute circonstance.

Un nouveau silence.

— Critique... gardez l'esprit critique chers étudiants.

Sur ma gauche le rayonnement d'un smartphone me distrait. Je chuchote :

— Éloïse, non, mais qu'est-ce que tu fabriques ?

Je ne peux m'empêcher de me tordre le cou en direction de son écran.

— Élo, tu fais quoi là ?

— J'essaie d'analyser ton rêve... Il y a un chouette site qui donne des interprétations possibles de symboles, de couleurs...

Elle jongle entre ses notes prises un peu plus tôt et son smartphone. J'ai l'impression que je vais faire une crise cardiaque, je me sens mise à nue. Enquêter sur mon monde intime... en pleine classe ! Je tente de garder un ton qui se veut le plus bas possible :

— Non, mais t'es folle ? Ce n'est absolument pas, mais pas du tout, le bon endroit pour faire ça !

— Chuuuut !

Derrière, une petite brune colérique aux cheveux entortillés s'excite. Je la regarde, elle me lance un nouveau : « Chuuuuut ».

— Oh ça va !

Je reçois un petit coup de coude dans les côtes, je tourne la tête, Oswald me lance un regard dégoulinant.

— Syd... La fille de derrière, celle qui te demande de te taire. Je le toise à la manière d'une lunette de carabine.

— Syd...

— QUOI ?!

— Tu... Tu crois que tu pourrais me brancher avec elle ?

— Avec qui ? Cette pétasse ?

— Carrément, elle est méga bonne !

— Non, mais ça ne va pas... ?

Une voix plus grave que les autres m'interrompt.

— Mademoiselle !

Mon cœur rate un battement dans ma poitrine. Je relève les yeux vers le professeur Charles dont les yeux sombres lancent à présent de véritables éclairs.

— Vous ne vous sentez pas concernée par mes paroles ? Le cours ne vous intéresse-t-il pas ?

Silence.

— Vous avez perdu votre langue ?

— Si bien sûr, je... je suis très intéressée par votre cours, à tel point que... que j'ai... que j'ai même pris de l'avance ! Oui j'ai pris de l'avance sur...

— Si vous avez de l'avance, c'est parfait, vous pouvez prendre vos affaires, je vous libère du fardeau de cette classe et vous invite à prendre encore plus d'avance.

J'ouvre la bouche sans savoir quoi répondre. À côté, Élo et Oswald me regardent impuissants.

— N'ai-je pas été assez clair ? DEHORS !


Le Garde RêvesWhere stories live. Discover now