Chapitre 18

31 3 0
                                    


Vendredi — tard dans la nuit

Ma tête me tourne, je me redresse et me débarrasse de tous ces câbles qui me relient à la machine. Justin insiste :

— Alors Syd, qu'as-tu vu ?

John le fusille du regard.

— Laisse-la respirer tu veux ?

Je secoue la tête. Rien de nouveau, toujours ce même rêve, la boîte en bois, et la fleur de pavot. Justin marmonne entre ses dents.

— Je le savais, cette tisane était une perte de temps.

John se retourne d'un air menaçant.

— Je t'ai déjà dit de la laisser respirer ! T'es sourd ou quoi ? Tu ne vois pas qu'elle est secouée ?

— Oh ça va toi, quand tu arrêteras de penser avec ta...

Justin n'a pas le temps de finir sa phrase que John l'empoigne pour le coller au mur. Doc prend la parole :

— Euh les gars...

John l'ignore complètement.

— Justin, je t'aime bien, mais ne me pousse pas à bout. Elle a besoin de rassembler ses esprits. L'expérience reste secondaire, le plus important, c'est elle...

Doc reprend :

— Les gars... Justin souffle :

— Tu as raison, je me suis laissé emporter.

John relâche sa prise.

— Que cela ne se reproduise plus.

— Les gars.

En cœur les deux garçons répondent :

— QUOI ?!

Doc indique la porte du doigt.

— Elle vient de se barrer.

*

L'escalier m'amène au palier du troisième, sous le cabinet médical de la maman de Justin. Je le trouve identique en tous points au souvenir dernier. Sans hésiter, je fonce vers cet étrange étage. La porte n'est pas verrouillée. J'avance dans ce couloir inconnu et pourtant, je sais exactement où je me trouve. Je suis déjà venue, par d'autres chemins. La sensation étrange laisse place ensuite à la curiosité, l'excitation et la peur. Une porte me sépare du secret. La main sur le mystère, je franchis l'ultime frontière. Sans bruit, je referme. La clarté du jour illumine désormais cette étrange pièce. Immense, elle correspond de manière exacte à l'appartement supérieur. Mon regard est immédiatement happé par ce mur, celui devant lequel le bureau est installé. J'avance, des centaines de photos, d'articles de presse et d'impression y sont épinglés, des annotations à l'encre noire, des fils de cotons colorés relient des ensembles. La documentation semble organisée à la manière d'une constellation. À mesure que j'avance, les photos deviennent plus nettes. Mon cœur manque un battement. Des photos, des photos de moi. En gros plan, mon visage. Je ressens un tremblement. Mes yeux découvrent des photos de mes parents, des photos de ma maison, Randall, Papa, Maman, je vois aussi ce jeune garçon à la bicyclette rouge. Autour, sur les extrémités, d'autres visages gravitent, des personnes que je ne connais pas. En grande lettre au milieu du puzzle je peux lire :

Le Garde Rêves

Des bruits de pas, on vient. Mon rêve se reproduit. Je fonce vers la clenche que j'essaie de bloquer, trop tard. La porte s'ouvre. John. Il me prend par les épaules. Les larmes roulent sur mes joues, que fait-il là ? Est-ce lui qui me suit ? J'arrive à peine à balbutier :

— John...

— Que se passe-t-il Syd ? Pourquoi es-tu partie ? Pourquoi pleures-tu ?

Sans savoir que répondre, je lève un bras en direction du mur. Il se retourne et observe les photos. Lorsqu'il revient vers moi, son visage est différent.

— Sydney, tu es en grand danger.

Je ne comprends rien à ce qu'il me raconte.

— Syd, regarde mes yeux.

Je fais un effort pour me calmer. Je plonge mon regard dans le sien. Ses yeux sont deux billes d'onyx, ils ressemblent à deux puits, deux puits qui m'aspirent.

— La clé est dans mon regard. Trouves-y ton reflet.

Je me regarde à travers ses yeux, et ce que je vois me déstabilise. Je ne suis pas dans cette pièce, je suis alitée dans un lit d'hôpital.

— Dépêche-toi Syd, ils seront bientôt là.

Au loin, j'entends que l'on court dans un couloir. Je me réfugie dans le centre de son regard au cœur de ses pupilles, un rideau vert m'entoure, je suis sous monitoring, les yeux fermés, je dors. Je vois un garçon, un garçon se pencher sur moi.

— Réveille-toi Syd ! Réveille-toi !

J'ouvre les yeux, je suis dans le grand hôpital de Melbourne. J'émerge d'un coma long de six ans et le premier visage que je rencontre est celui de John.


Le Garde RêvesWhere stories live. Discover now