Chapitre 22

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Les escaliers défilent, je croise patrouille sur patrouille, des gardes, des soldats armés jusqu'aux dents avec pour seul objectif : obtenir ma peau.

Ma tenue fonctionne à merveille. Il me suffit de bien serrer ma capuche pour rendre l'illusion imparable. Le cent-douze se rapproche et mes jambes accélèrent. Plus qu'une volée d'escaliers et la prison sera à portée. Deux ombres me tirent de mes pensées. Mince ! Deux gardes devant l'entrée ! L'action prend le pas sur la réflexion. Mes dagues s'envolent et se fichent en pleine gorge. L'effondrement est aussi immédiat que silencieux. Mon infiltration reste pour le moment inaperçue. Aucun scrupule ne m'effleure quand j'enjambe les cadavres. L'avantage d'être dans un rêve, c'est de ne jamais vraiment tuer, du moins en ce qui me concerne. Cette pensée me ramène à l'épisode tragique de Randall... Je tiendrai parole, coûte que coûte.

Avant de passer la porte, je fouille les gardes et les déleste d'une oreillette et d'un trousseau de clés. La porte s'ouvre sur une prison d'un autre temps. Des caves en pierre arrondies sous des voûtes d'époque. Les barreaux en acier trempé épais comme des rondins, de ceux qui ne craignent pas la lime...

Je dépasse une multitude de trous dont la crasse profonde me soulève le cœur. Une odeur piquante de transpiration se mêle à celles d'urine et de putréfaction. De-ci, de-là, des agglomérats de paille gonflés d'humidité et jaunis de pisse pourrissent dans des exhalations fermentées, de quoi révulser le moindre visiteur et torturer à chaque respiration ses occupants. De petits yeux m'observent dans le noir. Des rats, ça grouille, ça gratte, ça pullule. Mes doigts frictionnent ma chevelure à la recherche de vermine. J'ai l'impression d'être infestée de puces et de poux.

Enfin, la cellule. Je murmure :

— Doc ?

— Qui est là ?

— Mais c'est moi, Syd !

Doc sort de son trou et agrippe de ses mains sales les barreaux froids de son cachot. Sous la couche crasseuse qui recouvre son visage, ses yeux n'ont pas perdu leur vivacité. Sans un mot, il sonde le couloir et balaie le vide. Ah oui, j'oubliais, je suis toujours invisible ! Il prend la parole d'une voix cassante :

— Pierre, tes petits tours de passe-passe n'ont aucune prise sur moi !

J'abaisse ma capuche et seul mon visage se matérialise. Doc effectue un léger mouvement de recul.

— Mais c'est quoi ce délire ?

Sans un mot, j'avance vers la serrure, sors le trousseau et déverrouille l'accès. Hors de sa cellule, le Doc s'immobilise devant moi.

— Prouve-moi que tu es bien celle que tu prétends être.

— Je te délivre, n'est-ce pas une preuve suffisante ?

Richard a le regard fou.

— Non, prouve-le-moi ! Qui me dit que tu n'es pas une projection de Pierre, un autre subterfuge destiné à me faire craquer ou tout simplement à amuser son esprit malade ?

J'hésite, pour le coup, il n'a pas tort, Pierre est vraiment dérangé.

— Que veux-tu que je te dise ? Comment puis-je te convaincre que tout ceci est réel quand moi-même j'ai du mal à y croire ?

Le temps d'une inspiration lui suffit pour répondre :

— Raconte-moi quelque chose que nous seuls avons vécu.

Je sonde mon esprit et laisse le cours de mes pensées naviguer au fond de ma mémoire. Je reviens vers la période universitaire, l'appartement, les animistes. Le souvenir brutal du combat entre Justin et John me revient.

— Lorsque j'ai découvert que Justin enquêtait sur moi dans l'étage inférieur de son appartement, il a voulu abuser de moi. John est intervenu, ils se sont battus à mort avant de traverser la fenêtre. Je me suis retrouvée esseulée au troisième niveau. C'est à ce moment que tu m'as sauvée. Tu t'es penché vers moi et tu m'as éveillée.

Il hoche la tête. Un sang-froid que je ne lui connaissais pas émane de lui.

— Il faut dégager d'ici au plus vite.

Malgré la crasse, son allure ne ressemble pas à celle d'un bagnard, il se tient bien droit et semble en pleine forme. À peine ai-je ouvert la porte, qu'il jaillit en avant et m'entraîne par le bras.

Nous revenons vers le palier en direction des escaliers. Un regard en haut, un second en bas ; personne en vue pour l'instant, mais les lieux ne sont pas sûrs. Du mouvement, des bruits de pas se répercutent sur le béton. Ce n'est qu'une question de temps avant notre prochain contact. Je me retourne vers Richard pour lui faire part de mes inquiétudes lorsque je le découvre métamorphosé. Tout en blanc, il revêt la tenue des gardes. À ses pieds gît une de mes victimes de tout à l'heure, elle porte ses anciens habits. L'espace d'un éclair, je m'interroge sur la rapidité de l'échange et réalise que dans un rêve, le temps aussi s'écoule différemment.

Nous dévalons les escaliers. Quelques étages plus bas, nous croisons une patrouille. Ma « non-apparence » fonctionne à merveille. Quant à Richard, il se contente de mimer la surveillance d'une porte. Nous laissons passer la vague. Une nouvelle série de marches plus tard, un cri d'alerte nous alarme, les cadavres de la prison sont découverts. Mon talkie-walkie crache des ordres, dont la finesse et le timbre ne laisse aucun doute sur son auteur. Justin est à nouveau aux commandes.

— Cette petite salope a libéré le prisonnier...

Doc accélère encore comme si les mots de Justin étaient des coups de fouet.

— À toutes les unités, ils sont au centième étage, convergez dans cette direction !

Doc stoppe net et je bute contre lui. D'un mouvement quasi surnaturel, il fait volte-face. Ses yeux sont à la frontière de la démence.

— Il sait où nous sommes !

Je ne sais que répondre. Ses bras m'agrippent avec force.

— Tu portes un mouchard, impossible qu'il nous localise aussi facilement.

— Quoi ?

— Portes-tu quelque chose que tu n'aurais pas créé toi-même ?

— Je... que veux-tu dire ?

— Aurais-tu reçu un cadeau qui ne t'appartiendrait pas ?

— Non, je ne crois pas... je...

Des bruits de bottes viennent des étages inférieurs.

— Réfléchis !!!

Une étincelle brille dans mon esprit, l'étincelle d'un diamant.

— Il y a bien ce collier...

— Donne-le-moi !

Avec précipitation, j'essaie d'ôter le pendentif. Quelque chose cloche, je tire sur la maille, mais l'effort reste vain. Le bijou est comme scellé en moi. Si léger au porté, il pèse une tonne sous mes doigts. Les bruits de bottes se rapprochent. Dans quelques secondes, l'affrontement sera sanglant, inévitable, mais surtout, inégal. Je tire sur la fermeture éclair de ma combinaison, l'échancrure dévoile ma peau et mon décolleté. Au centre brille le pendentif. Richard lance sa main, d'une vive traction il arrache le bijou dans un bruit de chaîne brisée. Sans hésiter, il fonce vers le centre de la cage d'escalier. Il glisse la tête au-delà de la rambarde et aperçoit des gants blancs sur la rampe inférieure. Ils seront sur nous dans quelques instants. Sans perdre une seconde, il laisse pendre le collier dans le vide et le lâche. La réaction dans le talkie-walkie résonne dans tout le building.

— Merde ! Ils vous ont glissé entre les doigts ! À toutes les unités, convergez au rez-de-chaussée, ils ne doivent pas sortir du building. Emparez-vous d'eux par tous les moyens, VOUS M'ENTENDEZ ? JE LES VEUX VIVANTS, ILS NE DOIVENT SORTIR SOUS AUCUN PRÉTEXTE, ILS SONT À MOI !!!

L'effet est immédiat et le pas de course s'éloigne à mesure que nos poursuivants se dirigent vers les étages inférieurs.


Le Garde RêvesDonde viven las historias. Descúbrelo ahora