Chapitre 10

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Mercredi — dix-huit heures

Mes paupières se ferment et mon paysage s'assombrit. Je me retrouve seule face au noir, à genoux devant un écran sombre, goudronneux, quasi liquide. Au loin, la voix de John me guide aux travers des méandres de la suggestion. Mon instinct me dicte de rester là, en sécurité dans ce qui ressemble à l'antichambre d'un monde opaque. À nouveau la voix de John, il me rassure, me dit que tout va bien se passer. J'hésite. Devant moi, l'écran teinté de matière liquide vibre, des ondes concentriques s'écartent de son centre comme si une goutte d'hésitation provoquait des remous dans l'immensité de mon subconscient. Je me lève et approche. Plus j'avance et plus l'écran grandit. Je ne vois rien d'autre que cet océan noir. Pourtant, je pense que si je parvenais à détourner les yeux ne serait-ce qu'un instant, je pourrais découvrir autre chose ; je perçois un environnement autour de moi... autre chose...

— Concentre-toi...

La voix de John, sa voix, celle que je connais bien, chaude, rassurante, mélodieuse. J'ai presque l'impression qu'il me prend par la main pour m'amener au-devant des réponses. Le miroir, si proche. Mon souffle rencontre cette matière souple couleur d'encre. Mon visage en frôle la paroi et pourtant, aucun reflet ne me parvient. Un sentiment de paix et de sérénité m'emplit. Je ferme les yeux. Un éclair. Un flash. Le visage de Justin m'apparaît et disparaît aussitôt. Un léger déséquilibre suffit et je tombe en avant. Le miroir chaud, épais, liquide, empli d'une matière noire, m'absorbe, empêtre mes membres pour les engourdir et les emprisonner. Je m'enfonce. Ma respiration se bloque, j'étouffe, je... je vais mourir... mon rythme cardiaque s'accélère et dans l'agonie des derniers instants, des images défilent devant mes yeux : un bouquet de fleurs aux pétales blancs et roses – Joanna – le doyen malade dans un lit.

Je secoue la tête. Je ne respire plus, je vais...

— Tout va bien, je suis là, concentre-toi.

Le calme revient et, en une parole, tout s'apaise. De nouvelles images, plus nettes, plus précises, moins rapides. J'ai le temps de m'attarder sur une boîte en bois finement ouvragée, un écrin surmonté d'une gravure : un arbre. Aucun doute, c'est le même que celui observé dans mon rêve précédent. J'approche la main, éprouve le réceptacle, mais en vain, il est bloqué, verrouillé. Je l'inspecte sous toutes ses jointures. Le symbole ciselé sur le dessus me semble étrangement familier. Je trouve rapidement l'orifice sur le côté, une serrure à l'ancienne qui n'attend qu'une clé. Par réflexe, je glisse mon regard à l'intérieur du petit trou.

Un puits sombre minuscule, mais d'une profondeur immense, si profonde que mon regard est comme aspiré par cette fente. Je m'y plonge pour découvrir, au fond, une forme, une plante, non, une fleur, une fleur bien étrange, une tige surmontée d'un bulbe blanc et coiffée d'une couronne jaune. La fleur s'accompagne d'une odeur nauséabonde, une odeur de purin, la fleur disparaît, un animal, j'entends un grognement porcin, ensuite un froid glacé, je frissonne, mes pieds s'enfoncent dans un monticule d'ordures. Deux mains crochues se posent sur mes épaules, je relève la tête, je devise avec un miroir. Derrière moi, Justin me sourit et maintient ses serres à quelques centimètres de mon cou. Son visage à côté du mien me dérange. Il m'observe à travers le miroir et passe ses bras autour de moi. Son contact est glacé. Dans ses mains, un pendentif au bout duquel je découvre un diamant étincelant. Il ceint mon cou du magnifique collier. J'observe le bijou briller sur ma peau. Lorsque je relève les yeux pour m'observer dans le miroir, un hoquet d'horreur s'empare de moi. Mes yeux... Mes yeux ne sont plus... Ils sont transformés en deux cavités sombres. Mon nez a disparu, je vois le cartilage à fleur de peau et mes oreilles saignent ! Le contact froid sur mes épaules s'éteint, Justin s'est évaporé, mais autre chose est là, tapi dans le noir. Je me retourne et au même instant, me réveille dans un cri.


Le Garde RêvesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant