Chapitre 11

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Nous arrivons sur le chemin de Yanakie. Si l'on continue tout droit, jusqu'à l'océan, nous arriverons à la maison... chez moi. Je sors de mon mutisme.

— Tourne à gauche.

— Syd, tu es certaine de vouloir t'infliger cela ?

— Tourne je t'ai dit !

John serre les dents mais s'exécute. Après une dizaine de minutes, le cimetière se dessine. Il n'arbore rien de cérémonial, pas de grande muraille, ni de grille en fer forgé, juste un enclos autour de ce qui pourrait évoquer un parking, un parc aux morts.

Les roues s'immobilisent et déjà, je jaillis du véhicule. Quelque chose en moi pousse mes membres à aller au-delà de leurs capacités.

J'avance, je dépasse une enfilade de pierres tombales. Je sais exactement où me rendre, je l'ai vu au travers de l'esprit de John. Soudain, je la vois. Un granit noir, la plus jolie stèle du cimetière, si tant est qu'une tombe puisse avoir une quelconque beauté.

Joanna Stirling 1971 – 2014

Terrassée par la réalité, je m'écroule. Sur les genoux, mes poings se lancent en direction des cieux comme s'ils cherchaient à attirer la foudre avant de s'abattre durement sur le granit. Je frappe, je pleure et je cogne à m'en faire éclater les jointures. Maman... Maman... Ma Maman... C'est dur, beaucoup trop dur. Ma bouche s'ouvre pour hurler, mais seul un gargouillis étouffé s'échappe. La douleur est trop forte, imposante, incommensurable, elle ne peut jaillir par un si petit trou, une gorge n'est pas faite pour cracher les cœurs gros. Ma peine croît, me soulève, dépasse mon propre volume, elle irradie, inonde mes yeux, meurtrit mes mains et maudit mon nom.

Dans le déluge de souffrance qui s'abat, je discerne ce joli vase garni d'œillets. Les tendres pétales blancs et roses rehaussent de couleurs le socle en granit noir. Lorsque je les observe de mes propres yeux, une sensation étrange s'immisce en moi. Le « déjà- vu ». John, jusqu'alors très discret, remarque mon changement de comportement. Quelque chose ne va pas Syd ?

— Ce... Ce bouquet... Je l'ai apporté moi-même à... Maman dans mon rêve... Mais c'est impossible cela n'a aucun sens...

— Raconte-moi.

Je lui crache ma réponse :

— J'pensais que c'était interdit d'expliquer les rêves...

— À présent que tu sais pour ta maman, je peux t'aider à dénouer ce qu'il y a autour, ce que ton esprit essayait de te dire.

Je fouille ma mémoire pour revenir à notre rencontre. Revoir le souvenir de maman me ravage les entrailles. Je souffre dans mes tripes au point que parler me fait mal.

— Je l'ai vue John, vue comme je te vois, souriante, pleine d'énergie et de santé, comme je l'ai toujours connue... Elle... Elle travaillait dans une boulangerie.

Le lettrage orangé de la devanture me revient en mémoire :

« Chez Jo »

John s'approche et dépose une main sur mon épaule. Sans rien dire, il me laisse poursuivre.

— Mais, John, je, je ne comprends pas... dans mon rêve, je ne l'ai pas reconnue, c'était pourtant son visage et je ne l'ai pas reconnue. Comment pourrais-je ne pas reconnaître ma propre mère ?

Il répond d'une voix douce comme s'il expliquait à un nouveau- né ce qu'était un lit :

— Tu ne l'as pas reconnue car ce n'était plus ta maman.

— Mais... c'est Maman.

— Ta maman est morte.

Les larmes se déversent sur mes joues et dans ma gorge. Il laisse infuser ses paroles avant de poursuivre.

Le Garde RêvesWhere stories live. Discover now