Chapitre 10

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Les trois cents kilomètres de trajet pour arriver à la maison familiale furent, en ce qui me concerne, les plus silencieux de tout notre périple. John en revanche s'est transformé en perroquet volubile. Il crache sans relâche la moindre miette d'information, comme s'il pouvait, en l'espace de quelques heures, racheter des semaines de non-dits.

— Les rêves travaillent par symbolique Syd, donc dans le rêve très profond de ton coma, ton subconscient t'a soufflé des informations sensibles sous forme d'énigmes ou de rébus.

Muette, je me contente de fixer les lignes blanches de la route que des plaines asséchées entourent.

— Et c'est là où réside tout le danger du choix de ton interprète ou de ton onirocrite, comme nous les appelons. Il est important de ne pas dévoiler tes rêves à n'importe qui car tu donnerais à la personne choisie un pouvoir considérable sur toi. Une même vision peut avoir de multiples dénouements et l'interprétation te dirigera vers une situation future plutôt qu'une autre.

Un nouveau silence.

— Tu comprends Syd ? Les rêves induisent le futur, ils peuvent modifier tes choix.

Je croise les bras.

— Par exemple, si ton rêve te prédit que tu vas tomber de l'escalier, dois-je t'en empêcher ? N'es-tu pas sensée tomber de l'escalier ? Peut-être qu'à l'hôpital tu partageras une chambre avec une personne qui bouleversera ta vie... Qui suis-je pour choisir ce qui est bon pour toi ?

— Ou peut-être que je crèverais en tombant de l'escalier, et toi tu laisserais faire alors que tu as le pouvoir de l'empêcher.


— Si ça se trouve il n'y a même pas d'escalier, si ça se trouve l'escalier est juste un symbole et à cause d'un rêve, d'un simple rêve, tu risques de ne plus jamais oser monter une marche de ton existence, tu comprends ? Serais-tu prête à gâcher ta vie pour un simple rêve ? Je ne serai pas celui qui te conduira dans cette direction. L'interprétation des rêves ne doit pas être réalisée à la légère et certainement pas par moi !

— Ma mère est morte, putain ! Me le dire était une question de bon sens !

Ses justifications m'énervent. J'allume la radio. Il l'éteint aussi sec et s'enflamme à son tour.

— Et ça aurait changé quoi ? Te le dire ne l'aurait pas sauvée et ne l'aurait pas ramenée à la vie Syd ! Si je t'avais annoncé dès le départ la mort de ta maman, tu n'aurais pas suivi ton entraînement et Justin t'aurait rattrapée.

Je ricane.

— Je peux savoir ce qu'il y a de drôle ?

— En ne disant rien, tu influes aussi sur mon futur. En fait, tu ne cherches pas à me préserver, tu choisis. Tu regardes dans le menu de ma vie et tu choisis à quelle sauce tu vas te régaler... J'suis qu'un putain de hors-d'œuvre.

Je rallume la radio et colle mon visage contre la vitre. J'essaie de me perdre dans ce décor desséché pour ne plus entendre, pour ne plus penser. Il éteint la radio.

— Syd, je ne suis pas d'accord avec toi. J'ai juste choisi de ne pas intervenir. C'est tout le contraire, j'ai laissé la vie et le cours des choses opérer. Si tu dois apprendre quelque chose, tu finiras par l'apprendre tôt ou tard, tu as la force d'y arriver par toi-même. La preuve ! Tu as trouvé la réponse toute seule ! Nos chemins finissent toujours par nous amener à ce que nous devons savoir pour notre accomplissement personnel...

Je réponds par l'indifférence. Il poursuit :


— Tu comprendras un jour que c'était la meilleure des choses à faire.

— Ta gueule ! Ferme-la ! Je ne veux plus t'entendre. Je te faisais confiance et toi, TOI ! Tu m'as trahie !

Un silence... un long silence. Il rallume la radio.

Le Garde RêvesWhere stories live. Discover now