Chapitre 19

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Pierre tombe et l'univers des possibles s'ouvre à moi. Durant quelques instants du moins, sa chute ne durera qu'une poignée de secondes et il ne lui faudra que trop peu de temps pour réintégrer son rêve. D'un bond, je pivote et me rue vers la cage d'ascenseur. Pas un instant à perdre ! Les paroles du Garde Rêves me reviennent en mémoire, la hauteur des étages correspond à la complexité de l'esprit. Pierre s'est construit une véritable forteresse pour protéger ses secrets.

Je dois le prendre à son propre piège. Concentration. Les portes de l'ascenseur s'ouvrent. Suggestion. Ma main plonge dans la poche de mon pantalon pour en ressortir une clé. J'entre. La cage se referme et je découvre le panneau de sélection des étages, le plus grand jamais observé. Deux cents étages... tous lui appartiennent. Les pans d'aciers se rapprochent les uns des autres et la clarté de l'extérieur disparaît. Mon regard s'évertue à trouver une serrure, la serrure, tous les ascenseurs ont une serrure ! Quelque chose, là, au fond, sous la dernière rangée. L'interstice n'attend qu'un passe. Je glisse ma clé, donne un tour, et l'ascenseur se met en marche. Il... il monte. Il monte ? Pas le temps de m'interroger, la cage s'immobilise et les portes s'ouvrent sur une large pièce. Je récupère ma clé, me glisse à l'extérieur.

L'ascenseur disparaît alors que je prends connaissance de mon nouvel environnement. La pièce ressemble à ma chambre chez Randall. Les couleurs de l'automne tapissent les murs et le grand lit demeure l'élément central. J'avance pour retrouver ma commode, mon bureau et au fond, ma salle de bain. Mon esprit analyse la signification de cet endroit. C'est comme si je m'étais constitué mon propre étage dans la conscience de Pierre.

Combien de temps ai-je avant qu'il ne me trouve ? La première chose à faire serait d'avoir un camouflage. Je me concentre quelques instants et ouvre ma garde-robe, une série de tenues « une pièce » y pendent. Leur texture moulante et foncée rappelle les combinaisons de plongée. J'en enfile une, l'essai est concluant, la combinaison me va parfaitement. Le côté moulant a même quelque chose de sexy. J'observe ma poitrine dessinée par les courbes noires et m'interroge sur ce que John en penserait. Un coup de chaud m'envahit. Hey ! Concentre-toi ma belle, pas le temps pour tout ça !

Dans le miroir, le reflet me percute. Mon visage « flotte » au milieu de la pièce. Le reste de mon corps est... invisible... C'est... mieux que du camouflage, c'est parfait ! Il me faut quelque chose pour masquer ma tête et mes cheveux. De retour dans la penderie, mes mains rencontrent un cintre sur lequel repose une cape, une cape dotée d'une capuche. L'ensemble est tissé dans la même matière que la combinaison que je porte. Voilà qui fera l'affaire.

Soudain, je sursaute, une voix gronde à travers les murs. La voix de Pierre, forte, puissante et emplie de colère.

— Sydney, tu ne peux pas te cacher, je suis LE Garde Rêves ! Et ce monde est à MOI !

Silence. J'enfile ma cape, tire sur la capuche et recouvre mon visage. Sur la vitre réfléchissante, mon reflet s'est entièrement volatilisé. Je ressens un tremblement, les cloisons vibrent comme si la colère du Garde Rêves pouvait provoquer un séisme. Je dois ficher le camp !!! Je m'élance vers la porte quand mon esprit se fige sur la table de nuit. Un petit détour ne me tuera pas. J'avance vers le meuble, mes doigts agrippent la poignée du tiroir. Le compartiment glisse pour me dévoiler une ceinture peu commune. Je la soulève et découvre des fourreaux fixés à intervalles réguliers : des couteaux de lancer. D'un mouvement ample, la ceinture s'enroule autour de ma taille. Le cliquetis de la fixation se fait entendre. Je ne peux m'empêcher d'effectuer un test. Je tire sur une garde et décoche un tir. La lame se plante sur le chambranle de la porte. Précis, silencieux et efficace, tout ce qu'il me faut.


Le Garde RêvesWhere stories live. Discover now