Chapitre 33

25 4 0
                                    


De part et d'autre de la route, les hectares de prairies s'étendent à perte de vue. Le soleil se réfléchit sur la pelouse pour laisser éclater toute sa brillance. Parfois, un troupeau de vaches paît dans une mouvance à peine perceptible. Le front collé sur la vitre, mes yeux dévorent le paysage comme s'ils lui adressaient un ultime au revoir, un de ces moments où l'on vit chaque rencontre comme la dernière. Et si mon départ vers la Nouvelle-Zélande signait mes adieux envers ma terre natale ?

Nous dépassons un bus scolaire dont les jantes sont remplacées par des roues de tracteurs. Je peux lire sur la carrosserie : « BIGFOOT ». Je souris devant ce bricolage à « l'australienne ». Le genre de débrouillardise typique qui me manque déjà.

Nous roulons depuis six heures et la matinée a écrasé la nuit de toute sa splendeur. Le thermomètre grimpe alors que la beauté sauvage se dévoile sur l'océan. Un ciel sans nuages épouse une mer d'huile. Sur la ligne d'horizon, la différence est imperceptible. Des reflets émeraude émanent des bordures de plage. Le temps idéal pour la baignade promet une eau tiède et une brise légère, mais malheureusement, c'est l'atmosphère confinée d'un Airbus qui nous attend.

Je jette un regard en direction de l'habitacle. Coche, les mains arrimées sur le volant, ne desserre pas les dents. À côté de moi, Loïs mâchonne un crayon tout en lisant le carnet bleu. Sa mine plissée témoigne du combat intérieur en cours. Mon amie ne rendra pas les armes avant d'avoir tout tenté. S'il subsiste dans ces pages le moindre élément, la moindre réponse dissimulée, elle la débusquera. Oswald, quant à lui, dort toujours. La clarté du matin n'affecte en rien sa capacité au repos et l'accroissement de la température a pour effet de créer une pellicule moite et visqueuse sur son front.

Le paysage change, nous quittons la route côtière pour nous enfoncer dans le parc national de Murramarang, une perle verdoyante de vingt-deux kilomètres carrés flanquée sur le littoral. Les arbres filiformes grimpent pour former au-dessus de nos têtes un toit insondable. La faune australienne possède ce caractère sauvage, insoumis et pourtant harmonieux qui nous rappelle, à nous, visiteurs ignares, notre petitesse face aux racines ancestrales qui nous ont vus naître.

Un reliquat de pancarte mangée par le sel et la rouille annonce :

« Depot Beach». Au cœur de la réserve naturelle, quelques emplacements de parking entourent une cahutte en bois dans laquelle je peux lire : «Amenities », ce qui signifie littéralement « équipements ». En réalité, ce sont les sanitaires, douches et toilettes : comprenez un trou dans un puits perdu et une distribution d'eau de pluie. À l'ombre du camping, quelques kangourous broutent paisiblement l'herbe. Certains relèvent un minois curieux vers notre pick-up. Je revis les sensations de mon enfance avec nostalgie. Les pneus crissent, les portières claquent et les bienfaits de la nature nous enveloppent. Derrière, la forêt s'étend à perte de vue. Devant, une fine barrière arborée nous sépare du littoral, je devine la plage et ses caresses salées.

Une multitude de sons nous parviennent. Les insectes crissent, grésillonnent et bourdonnent dans un bruit de fond constant alors qu'au loin, une symphonie mélodieuse s'élève. Les oiseaux glatissent pour ravir nos oreilles. Un envol de « loriquets arc-en-ciel » éclaire la forêt de leur plumage coloré.

Coche nous ramène à la réalité. D'un geste soigné, ses mains déplient une carte sur le capot de la voiture. Oswald et Loïs s'en approchent, à contrecœur, je les imite.

Le Garde RêvesWhere stories live. Discover now