Chapitre 3

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Je suis de retour dans la large pièce du troisième, sous le cabinet médical de la maman de Justin, dans le bâtiment où John m'a sauvée, là où il m'a éveillé.

Le mur rempli de photos m'attire de manière presque magnétique. Un labyrinthe inexorable d'images, de liens, de coupures de presse et d'annotations. J'observe mes dix ans capturés sur pellicule. Un morceau de papier accroche mon attention, je reconnais un extrait du Yanakie journal. Un passage surligné en jaune fait ressortir le texte : « Une source d'eau miraculeuse trouvée à Yanakie ! Les habitants racontent l'histoire d'un forage improbable. » Un fil rouge connecte cet extrait avec une photo : Papa.

Un bruit dans le couloir interrompt mes recherches. La porte s'ouvre, j'espérais voir John, mais c'est Justin qui s'avance. Ses yeux me fixent comme des harpons, à croire qu'il m'emprisonne d'un simple regard.

— Sydney, Sydney, Sydney...

Il s'approche dangereusement de moi.

— Alors comme ça tu fuis ? Tu sais que c'est vraiment impoli de partir sans dire...

Ma main vole en direction de son visage, la gifle lui coupe le souffle et le clapet.

— Ta gueule Justin ! Ferme-la ! C'est quoi cette enquête sur moi ?

Je lance un doigt en direction du mur aux clichés. Il le suit du regard, j'en profite pour le gifler à nouveau. Il ne se fait plus surprendre et évite au dernier moment ma main.

— Eh bien dis-moi, on dirait que tu en as sous la pédale.

Il me sourit avant de m'envoyer à son tour une gifle, sa main claque sur ma joue et un millier d'étoiles brouillent ma vision. Je tangue.

— Oui, nous avions tout faux, quand je pense que jusqu'alors nous n'avions d'yeux que pour ton père...

À l'évocation de Papa, un bloc de pierre se cale dans ma gorge. Un volcan de rage explose en moi, je me redresse et lance mon poing avec toute ma force. Il attrape mon poignet avec facilité. Il me sourit d'un air narquois. Comme un chien sur un os, je me rue sur son avant-bras et le mords à pleines dents. Un goût de sang inonde ma bouche. Je tire d'un coup sec et lui arrache un morceau de chair que je crache sur le sol. Je ressemble à un animal enragé.

— Ne t'approche plus de moi ! T'as compris ?!!!

Je serre les poings, prête à en découdre. Justin plie les genoux, effectue un tour sur lui-même en lançant son pied à l'horizontale. Le balayage me coupe les jambes et je heurte durement le sol.

Justin se rétablit. Sur ses deux jambes, il prend le temps de contempler d'un regard mi-amusé, mi-interloqué, son bras sanguinolent. La douleur ne semble pas l'atteindre.

— Tu as du potentiel, mais tu manques tellement d'entraînement.

Sans me laisser le temps de réagir, sa jambe s'élance de tout son poids dans ma direction. Le coup de pied décoché atteint mon ventre. La pointe de la chaussure s'enfonce dans ma cage thoracique. Un éclair fulgurant me parcourt la poitrine, mon estomac se transforme en verre pilé. Mon cou se contracte, impossible de respirer, ni de crier, mes yeux menacent de sortir de leurs orbites. Je me tords jusqu'à ce qu'un fin filet d'air perce le voile de douleur qui m'enserre. Je respire à peine. De l'air, je respire, je pleure. Il s'approche, s'agenouille, m'observe avec satisfaction. Je peux même sentir les relents de son haleine mentholée.

— Vois-tu, Sydney, lorsque nous avons eu vent de ce forage improbable, de ce miracle, nous nous sommes penchés sur cette paisible famille. Quelle ne fut pas notre surprise...

Un hoquet, je crache du sang. Il m'agrippe par les cheveux et les tire vers l'arrière. Mon cou s'offre à lui, il le contemple à la manière d'un vampire assoiffé de vie.

— Écoute-moi bien petite salope, je dois te ramener vivante au patron, mais je vais d'abord m'amuser un peu avec toi.

Il glisse une main dégoutante sur ma poitrine, me palpe sans retenue. Sa langue vient se coller sur la base de ma trachée. Je la sens remonter vers mon oreille en une traînée gluante.

— Lâche-la, lâche-la tout de suite...

John vient de rentrer dans la pièce. Justin me repousse.

— Tu arrives un peu tôt, je commençais seulement à entrer en érection.

Allongée sur le sol, les forces m'ont abandonnée. J'observe John défier Justin. Sur leurs gardes, ils se mesurent et tournent en rond comme deux prédateurs en duel.

— À quoi joues-tu John ? Tu vas te rebeller contre l'ordre des choses ?

Il pointe son index dans ma direction.

— À cause d'un petit cul serré ?

John reste silencieux.

— Tu connais le sort réservé aux renégats. John, réfléchis bien avant de commettre l'irréparable.

— L'irréparable ? L'irréparable c'est vous qui l'avez commis. La première règle est le consentement, personne ne traverse le voile à moins de le vouloir.

John affiche une mine de dégout avant de poursuivre :

— Et votre ordre bouleverse l'équilibre depuis trop longtemps.

Peu à peu, les cercles deviennent concentriques. Dans quelques instants, John et Justin n'auront pas d'autre choix que d'entrer en contact.

— Tout aurait pu se régler si son...

John laisse éclater sa colère

— Ferme ta gueule, laisse-là en dehors de ça !

La rage a pris le dessus sur la garde de John. Justin en profite, il plonge. Le coup de poing puissant éclate le cartilage. Le nez craque. Une gerbe de sang gicle dans les airs. Justin enchaîne d'un coup de pied retourné. La tranche de sa chaussure s'enfonce dans la poitrine de John qui est expulsé plusieurs mètres en arrière. Il retombe inconscient. J'en suis bouche bée. Justin se bat comme une ceinture noire. Il lance à mon attention :

— Ne fais pas cette tête, si le patron décide de te garder, tu apprendras aussi tout ça.

Un immonde rictus le défigure.

— Mais en attendant, je vais prendre mon dû.

Il ouvre la fermeture éclair de son pantalon et me regarde comme si j'étais une pièce de viande bien juteuse. Il avance, fait un second pas dans ma direction, lorsqu'une ombre passe. John se jette sur lui à la manière d'un joueur de rugby. Ses mains le saisissent par les hanches alors que sa tête se glisse sous l'épaule. Soulevé du sol, Justin ne possède aucun appui pour le contrer. John court en direction de la fenêtre. Djou hurle :

— PUTAIN JOHN !!! QU'EST-CE QUE TU FOUS ?!

John se jette à travers la vitre, la baie se brise en mille morceaux et les deux corps tombent dans le vide.

Le Garde RêvesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant