Chapitre 24

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J'ouvre les yeux, je suis dans un véhicule au milieu d'une voie à six bandes. Le boulevard sépare les allées de buildings. Derrière nous, la gigantesque tour de Pierre se détache pour culminer à perte de vue. Le Doc empoigne le levier de vitesse et s'empresse de mettre les voiles.

— Où allons-nous ?

Un silence marque son temps de réflexion. Il n'y a qu'un endroit pour nous accueillir, une seule personne en mesure de nous venir en aide, le seul qui résiste à l'emprise de Pierre. Richard et moi échangeons un long regard. Ma voix n'est qu'un souffle lorsque je prononce son prénom :

— John...

Le Doc me répond :

— John se cache dans le seul endroit encore sûr.

Sa voix devient presque geignarde.

— Je suis obligé de fuir pour me cacher Syd. Mais toi, il te suffit de te réveiller. Syd, tu n'es pas obligée de t'infliger tout cela.

Je n'ai aucune envie d'enfouir ma tête dans le sable. Je veux des réponses. J'ai fait une promesse à Loïs et je suis prête à tout pour la mener à bien. Ma décision devient irrévocable. Pour toute réponse, je me contente de fixer l'horizon et de garder les yeux bien ouvert malgré la blessure qui m'affaiblit. De l'autre côté du parebrise, le panorama me heurte. Les buildings dressés obéissent à la loi du béton, ils s'élèvent dans un alignement parfait et dépeignent leurs ombres tristes sur le bitume. Droits, épurés dans leurs enveloppes grises, les édifices s'élèvent toujours plus haut dans l'espoir de dépasser le bâtiment voisin. Peine est de constater qu'aujourd'hui encore, ce sont les fondations qui délimitent la hauteur.

Les bâtiments défilent sur une pellicule noir et blanc. Un dégradé monochrome à mes yeux vitreux. La fièvre me gagne, la sueur perle et mon souffle se raccourcit. Doc braque. Notre véhicule bondit sur une route transversale. Les briques rouges nous encadrent dans un décor de sang. Une façade différente à l'enseigne illisible attire mon chauffeur. Un immense volet se lève, l'entrée béante nous avale et nous nous engouffrons dans un entrepôt désert. L'intérieur sombre, poussiéreux, contraste avec la clarté du boulevard. Mon conducteur s'échappe du véhicule pour enclencher la fermeture du volet et effacer les traces de notre arrivée. Un compresseur, des pneus, une arcade de clés à douille, un pont hydraulique, nous sommes chez un mécano.

Ma portière s'ouvre et ce sont les bras de l'ami qui me soulèvent. Réfugiée dans son épaule, je m'abandonne.

— Reste avec moi Syd.

Un bruit métallique me tire de l'inconscience. Une trappe sur le sol masquait un escalier. Nous nous enfonçons dans une fosse à l'ancienne, là où les mécaniciens du siècle passé se terraient pour intervenir sur les bas de caisse.

Toujours dans les bras de mon sauveur, la noirceur devient mon nouvel environnement. Richard lève le bras, tire sur une corde et la trappe se rabat au-dessus de nos têtes. L'obscurité devient totale. Une bouffée de chaleur m'envahit. J'enserre un peu plus Richard, il me répond d'une étreinte douce, chaleureuse, presque paternelle. Je ferme les yeux, me laisse aller à la douceur quand une musique vient caresser mes tympans.

Sous nos pieds, un cercle vert se dessine.

— Accroche-toi Syd !

Avant que je ne puisse réagir, Richard saute dans l'arrondi lumineux. Une sensation vertigineuse me soulève l'estomac. Dans un claquement de doigts, nous atterrissons dans un Nouveau Monde, étranger et familier à la fois.


Le Garde RêvesWhere stories live. Discover now