Partie 2 - Chapitre 1

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Quelques kilomètres au sud de Bruxelles

Université de psychologie de Mons

Six ans plus tard


Premier jour

                                                    Lundi — Quinze heures

L'auditoire ressemble à une salle de cinéma. Des sièges en velours, des pupitres escamotables, un arc de cercle orienté vers la scène. Le tableau interactif affiche le logo de la faculté. Sur l'estrade, un bureau central accueille le doyen visiblement à l'aise dans son rôle d'orateur. Assis de manière décontractée, le Docteur Laperent dispense son savoir.

Seize ans... seize ans à peine, seize ans déjà... six ans se sont écoulés depuis le drame. De souvenirs, je n'en ai que trop peu, ils me manquent autant que les explications. Mes parents sont portés disparus. Mon réveil fut horrible, atroce, comme une lame d'acier que l'on vous enfonce dans les entrailles. Un vide, une douleur, comme si mon intérieur se déchirait et qu'un liquide noir et givré se répandait en moi. Après mon réveil, la plus profonde des solitudes s'empara de moi. La police, les infirmières, les psys et les services sociaux se sont succédé, jusqu'à la solution. Ils m'ont envoyée dans le nord de la France, dans ma seule famille connue, la marraine de mon père, une vielle dame que je ne connais pas. La vie ici est profondément différente, grise, triste et monotone comme une saison de pluie. Néanmoins, tous les soirs, pour moi, une étoile brille. J'ai vu la solution, oui, je l'ai vue et je me précipite vers elle.

Ma première journée à l'université m'intimide. La plus jeune inscrite aux études supérieures belges cette année, je me sens comme une souris de laboratoire, un rat que l'on observe avec un air mi-curieux mi-dégoûté. Alors je me fais minuscule, plutôt comme une musaraigne, je me cache dans un coin, je prends des notes. J'espère en silence que l'université ne sera pas comme l'horreur du lycée où tout le monde me montrait du doigt en désignant le mauvais œil qui planait sur moi.

J'ai quitté la France pour faire table rase avec l'horreur du lycée.

Mons ne se situe qu'à une heure de Lille et s'est imposée comme une évidence. L'instruction belge est d'un très bon niveau. Je me suis orientée vers la psychologie pour me familiariser avec les autres, comprendre d'où vient leur rejet et puis, quelque chose me pousse vers cette voie.

Le doyen laisse éclater toute la maîtrise de son discours :

— Chers étudiants, vous voici à l'aube de votre vie estudiantine qui marquera de son empreinte, toute votre carrière. Vos choix d'aujourd'hui seront décisifs pour votre orientation future...

À coup de grands gestes et de sourires ravageurs, il dompte une salle comble, mais déjà conquise.

— Comme disait le poète, vous n'écrirez votre vie qu'une fois, alors appliquez-vous ! Mais bon, j'imagine que vous n'êtes pas là pour écouter un vieux... Humm un vieux ? ... Comment dit-on de nos jours ? Un « has been » ?

Un rire parcourt la salle.

— Bref, je n'alourdirai donc pas la soirée plus qu'il ne le faut. Laissez-moi vous souhaiter une dernière fois la bienvenue, et, il n'y a pas de bienvenue sans Welcome pack ! Chers étudiants, je vous invite à vous lever et à rejoindre, aux extrémités de l'auditoire, nos chers anciens qui vous attendent les bras chargés de paquets !

La salle comble lance un tonnerre d'applaudissements. Je me tords le cou pour entrapercevoir, au bord de la salle, une bande d'étudiants prêts à la distribution. La foule d'élèves se lève dans un bruit de manteau froissé. Le brouhaha forme un son vague, distordu, assourdissant. Trois-cent-cinquante élèves fraîchement arrivés se bousculent vers les fameux packs de bienvenue.

Je me faufile comme un rongeur entre des épis. Un garçon aux cheveux châtains pose ses yeux sombres sur moi. Grand, bien bâti, quelque chose en lui me plaît au premier regard. Sans retenue, mon décolleté devient le point central de son attention. Lorsque nos regards se croisent à nouveau, il me sourit avec insistance. Pas habituée, j'éprouve un étrange sentiment, gêne et désir forment un savant mélange, enivrant.

— Salut je m'appelle John.

— Pas d'chance pour toi...

— Quoi ?!

— Non, enfin, je veux dire... John... c'est... c'est très bien.

Je rougis. Non, mais quelle idiote, j'suis vraiment trop nulle d'avoir dit ça! Estomaqué, son regard incrédule me met mal à l'aise. Sans un mot, je prends le paquet qu'il me tend. Il hésite un instant puis reprend :

— Tu loges dans la cité universitaire ?

Je réponds par un hochement de tête. Mon regard fuit en direction de l'intérieur du sac. Un tee-shirt aux couleurs de la fac, de la documentation et quelques babioles... évite de parler, évite de parler... Il insiste... il est... sympa.

— Si ça te tente, les anciens organisent une soirée d'accueil au bar de la cité...

Nouveau sourire ravageur. Mes joues deviennent brûlantes.

— Rejoins-nous ce soir, on aura l'occasion de discuter. Tu verras, c'est cool, je suis sûr que ça va te plaire.

Je réponds d'une voix enrouée :

— Je passerai peut-être, on verra... Merci pour l'info.

D'un mouvement vif, je me retourne et le plante sans autre formalité. Je me sens trop nulle... carrément trop nulle ! Trop nulle mais trop contente !!! Une invitation dès le premier soir, la suite promet d'être intéressante.


Le Garde RêvesWhere stories live. Discover now