Chapitre 16

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Cinquième journée - Vendredi 18 heures

L'horizon crépusculaire m'absorbe, il rougeoie tel un âtre dont le dernier souffle annoncerait la venue d'une nuit glacée. Mes baskets rebondissent sur un boulevard en furie. Le flot circulatoire oppresse les conducteurs, hâtifs d'en finir avec cette semaine de travail. Ils rentrent tous chez eux... tous, sauf moi. Mon instinct m'alerte d'un risque, d'une menace, d'un danger. Une ombre plane sur moi depuis mon arrivée dans la cité estudiantine. Pourtant, je sais, je perçois, je sens que je dois aller au bout de cette expérience. Une réponse luit au fond de ce tunnel, pourvu que ce ne soit pas un leurre.

Sur le coin de l'avenue : le building. Sobre, massif, il s'élève sur cinq étages dont les baies vitrées donnent sur la verdure du parc. Je m'arrête au niveau de la porte d'entrée.

— Tu hésites ?

Je sursaute et me retourne. John, les mains enfoncées dans sa veste en cuir se dirige vers moi d'un pas assuré. Il sourit, s'approche... encore... mais que fait-il ? Il penche la tête, nos fronts se frôlent, mon cœur s'emballe, sa bouche, ses lèvres, son souffle, sa main dans mes cheveux, mes jambes tremblent, mes joues deviennent brûlantes. J'ai l'impression de perdre pied, le plus beau de tous mes baisers, mon premier. Il s'écarte, j'ai du mal à ouvrir les yeux.

— J'avais envie de t'embrasser depuis le premier jour. Tu viens ?

Le cœur chaviré, c'est à peine si mes idées s'ordonnent. Je balbutie :

— O.... oui... enfin... attends.

Il m'observe, ses yeux sont deux perles, deux billes d'onyx qui ne peuvent mentir. Sans parler, je perçois force, détermination et cette étrange tristesse qui façonne les êtres, certains plus que d'autres.

— Je t'écoute.

Il avance, enfonce ses doigts dans mes cheveux et m'embrasse à nouveau. J'ai l'impression de fondre et de m'envoler en même temps. Je secoue la tête.

— Non, attends.

— Désolé, mais maintenant que j'y ai goûté ça devient irrésistible.

Je deviens cramoisie.

— Oui, pareil pour moi...

Je fronce les sourcils.

— Mais attends, écoute-moi, c'est important.

Il me prend les mains. Le soleil décroît un peu plus pour donner à son visage une couleur hâlée. Un léger vent fait frémir ses cheveux.

— C'est bon, j'arrête ; promis. Dis-moi tout.

Je reprends mon souffle.

— Je ne veux plus poursuivre l'expérience avant d'avoir eu une bonne discussion avec... l'équipe.

— Tu veux dire avec Justin ?

Je hoche la tête.

— Oui... avec Justin. J'ai l'impression qu'on explore à tâtons sans vraiment savoir vers quoi on s'embarque. Mais... Vous devez comprendre, c'est ma tête, ma vie, mon subconscient et mon avenir qui sont en jeux.

— Syd, je te promets que rien ne sera fait sans ton consentement. Perso, la seule chose qui compte pour moi, c'est toi. Si tu ne veux pas aller plus loin, tu peux rentrer chez toi. Je leur expliquerai.

Il achève sa phrase en serrant le poing. Je commence à comprendre sa manière « d'expliquer » les choses. Mon téléphone portable vibre dans ma poche. Je vérifie l'appel. Élo. J'enclenche le mode « silence ».

— Tu ne réponds pas ?

— Non, c'est Élo, elle rentre sans doute chez ses parents et s'inquiète du fait que je ne lui ai pas dit au revoir, je l'appellerai demain, il n'y a aucune urgence.

— Comme tu veux, mais n'hésite pas, tu peux la rappeler si tu veux, ça ne me dérange pas du tout.

— Non, non, nos conversations durent beaucoup trop longtemps pour que je l'appelle maintenant. De plus, si je raccroche trop vite, elle va suspecter quelque chose et va comprendre que je suis restée ici pour le week-end.

John hausse les épaules et ouvre la porte. Dans mon sac, mon téléphone poursuit son activité silencieuse. D'abord des appels, ensuite des messages, de longs messages qui restent lettres mortes. Le dernier s'affiche en toutes lettres :

« Syd, on a décortiqué ton rêve,

il contient un message caché ! Reste à l'écart de Justin,

ÉCARTE-TOI DE CES GENS ! »


Le Garde RêvesWhere stories live. Discover now