Chapitre 14

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L'annonce me fait l'effet d'une chiquenaude. Je ne dis rien, mon regard se perd dans le vide. Randall oblique dans ma direction.

— Tu en fais une de ces têtes... Tu n'as pas l'air contente...

Son visage s'assombrit.

— Je te préviens, si c'est une technique pour m'embrouiller, ne te fatigue pas. Ce n'est même pas la peine de négocier. Je garde les rennes, je suis aux commandes de toute la gestion du site. Tu n'auras même pas un droit de regard, la seule chose que je t'accorde, et je trouve cela suffisamment généreux, c'est cinquante pourcents de participation bénéficiaire, royalties et taxes déduites bien sûr. Un dividende substantiel que tu récolteras à la fin du trimestre de chaque...

Je suis ailleurs, ces mots ne sont qu'un son lointain, distordu, qui se perd dans le nuage sombre de mon esprit tourmenté. Sa hargne fait place à l'inquiétude.

— Syd ?

— Oui ?

— Tu vas bien ? J'ai l'impression de parler dans le vide.

Je porte mon regard vers Randall.

— Oui, oui, je suis très contente, le contrat n'est pas en question mais...

Les larmes me montent aux yeux.

— Mais ?

— Mais je viens d'apprendre le décès de Maman quelques heures plutôt alors... alors les deux milliards, c'est formidable, mais je les échangerais tout de suite si cela pouvait la ramener...

Randall s'avance et me serre dans ses bras. Tant d'affection de la part d'un homme si dur me surprend.

— Syd... Je... Excuse le côté brusque d'un vieux bourru à peine sorti de son Bush. Tu es ici chez toi. Prends le temps qu'il te faut. D'ailleurs, Loïs est impatiente de te revoir.

— Loïs ! Loïs est encore ici ?

Loïs, la fille de Randall, huit ans de plus que moi. Mes parents lui demandaient régulièrement de faire du baby-sitting. De voisine, elle est presque passée au statut de grande sœur. De la fierté luit dans le regard de son père.

— Tu devrais la voir, revenue de Paris avec un diplôme d'économiste en poche. Elle fait ma fierté. Et puis elle a sauté de joie lorsqu'elle a appris ton retour. Elle était en ville, mais elle s'est immédiatement mise en route. Je lui ai accordé quelques jours de congé pour qu'elle passe du temps avec toi.

Un torrent de bonheur s'écoule en moi. Le front de Randall se barre d'un pli soucieux.

— Mais tu dois savoir que Loïs ne sera pas entièrement disponible.

Il insiste sur l'adverbe.

— Elle s'est « pacsée » ...

Il crache le mot et le répète :

— Ouais... pacsée ! Avec un hurluberlu, un bon à rien, un incapable fainéant de Français qui se nourrissait de vivres non périssables. Tu te rends compte ?

Randall fulmine :

— Cet abruti faisait semblant de travailler pour une œuvre caritative et bouffait la charité des gens... Son appartement était rempli de boîtes de thon, de cassoulet, de pâtes et de riz que le voisinage lui avait généreusement donné en pensant fournir les banques alimentaires ! Et il a fallu qu'elle me choisisse... Ce... Cet...

— Oswald...

Randall sursaute de surprise. Mince, j'ai parlé trop vite. En un éclair, le visage de Randall change. L'épisode de la localisation de la source d'eau est toujours bien présent dans son esprit. Les secondes s'égrènent. Ensuite, il se contente d'hausser les épaules et de poursuivre :

Le Garde RêvesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant