Chapitre 3

69 8 0
                                    


Lundi — vingt heures trente

J'ai dû m'habituer au temps du nord et aujourd'hui encore, son humidité me transperce. Les nuits rafraîchissent à la mi-septembre. Les promesses de l'été s'évaporent sous l'éclat glacé d'un ciel sans nuages. Les journées raccourcissent et déjà quelques étoiles pointillent l'immensité. Les talons de mes bottes claquent sur les rues pavées. Les logements de la cité universitaire entourent un parc. Des bancs, des buissons, des parterres qui, la journée, n'attendent qu'une couverture et un bon livre. Quelques arbres offrent des espaces ombragés. Et puis, au fond de ce qui ressemble à une cuvette, un bâtiment éclairé, plus important que les autres: les presses universitaires. Ce pôle administratif est géré par les étudiants de dernière année. Syllabus, archives d'examens, notes de cours, résumés, le tout légué par les anciens de la faculté. Un espace serein, propice au travail, du moins, c'est ce que le site officiel annonce. Ce soir, le lieu respire la fête. J'approche et mes oreilles perçoivent une musique qui résonne au travers des baies vitrées. À mesure que j'avance, je réalise que les presses sont en réalité un bar. Éclairé par la lumière des fenêtres, un attroupement discute devant la double porte. Il règne sur ce groupe une atmosphère de fumée de cigarette. Je rentre la tête dans les épaules comme pour me protéger du froid. Dans la pénombre, les visages sont indistincts. Quelques regards furtifs me dévoilent des gobelets de bière. Bon sang, je n'ai jamais bu de bière. Je ne suis plus du tout certaine de vouloir franchir la porte. Ne suis-je pas venue pour étudier ?

— Hey salut !

John se tient devant l'entrée. Grand, bienveillant, sa présence a quelque chose de rassurant. Mon sourire timide rencontre le sien.

— C'est bien que tu sois venue. Je t'attendais !

Il m'attendait !

— Viens avec moi, je vais te présenter.

Un sentiment de protection m'enveloppe et c'est le cœur un peu plus léger que je découvre un monde jusqu'alors inconnu. Nous nous infiltrons dans un hall bondé. Le sas s'ouvre sur un bastion de la guindaille estudiantine. Dans un décor vieilles briques, poutres métalliques et béton lissé, jaillit un bar entouré de fûts. Une multitude d'inconnus gravitent entre le comptoir et la piste de danse. Sur la droite, deux grosses enceintes vibrent au rythme des basses. En retrait, un zonard coiffé d'un casque et de lunettes fumées rythme la soirée à coup de platines et de mains levées.

D'un geste du bras, John m'attire dans un coin squatté par deux autres personnes. Il approche son visage de mon oreille, un frisson me parcourt. Il force sur sa voix pour se faire entendre :

— Voici Justin.

Grand, roux aux yeux clairs, planté dans un polo de marque anglaise, le dandy m'accueille d'un sourire pincé.

— Tout le monde l'appelle Djou, c'est son surnom.

Je me contente de hocher la tête dans sa direction. À côté, un autre garçon à peine plus grand que moi, dissimulé dans un gros pull foncé émerge sous une barbe noiraude.

— Lui, c'est Richard, appelle-le Doc.

Richard me salue d'un signe maladroit. John reprend un ton plus bas.

— C'est un cerveau, une future star, bientôt la thèse, les félicitations du jury... tout ça.

Je souris un peu mal à l'aise, je ne sais trop que dire. Mon protecteur poursuit :

— Et si tu nous disais comment toi, tu t'appelles ?

— Sydney, moi c'est Sydney.

— Sydney...

Le Garde RêvesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant