Chapitre 12

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D'un coup sec, je tire la tenture de ma chambre comme pour me mettre à l'abri de son champ de vision. Deux options s'ouvrent à moi : fuir ou l'affronter. De choix, je n'en ai point, je ne suis pas prête à combattre dans cet univers que je ne maîtrise pas encore. D'un geste, je retrousse ma manche et dévoile mon bracelet réfléchissant. J'incline le cadran et y plonge pour fuir ce cauchemar. Dans le puits de mon regard, je remarque du mouvement. Je suis à nouveau confrontée à cette aura bleue, ce spectre venu d'ailleurs qui hante mes tréfonds et m'empêche d'effectuer ma traversée. Sans attendre, je détourne les yeux et romps le contact. Merde ! Comment vais-je me réveiller ?

Un bruit ébouillante mes sens, la porte de ma chambre, quelqu'un... Le battant s'ouvre sur la silhouette en imper noir. Le policier déguisé en « SS » me dévisage d'un air satisfait. Sa voix légèrement aigrelette me donne des frissons alors qu'il décortique chacune de ses syllabes :

— Vous revoilà...

Je me redresse et lui fais face comme si sa présence ne m'effrayait pas. Je crache dans sa direction :

— Que me voulez-vous ? Que faites-vous dans mon rêve ? Et qu'est-ce donc que cette tenue ? Vous êtes venus pour une rafle ?

L'idée me retourne l'estomac. Sous son képi grisâtre, sa stature me semble beaucoup moins frêle. Droit comme un i, le poids des ans n'affaisse plus ses épaules. Que du contraire, quelque chose de démoniaque semble alimenter chacun de ses gestes. Il lève un doigt osseux qu'il agite en signe de négation.

— Tu n'as décidément rien compris. Je t'avoue que je ne suis pas vraiment enchanté par ce costume, mais que veux-tu... je ne l'étais pas non plus tout à l'heure, lorsque j'étais déguisé en policier...

— Déguisé ?

Son sourire devient carnassier. Il se rapproche, je recule et arrive dos à la fenêtre.

— Tu ne nous laisses pas vraiment le choix, tu as fui l'hôpital et a tué notre agent. À présent, tu es protégée par Randall et sa milice.

Le sexagénaire accoutré en officier allemand est à présent si proche que je pourrais sentir son haleine chaude.

— Tu ne nous laisses pas d'autre alternative...

Il bondit. Je tente de l'éviter, mais il est trop vif. Comme une anguille, il s'est glissé derrière moi. Son bras enserre ma gorge et il me soulève du sol. Son autre main agrippe un de mes poignets qu'il tord à en éclater les cartilages. La douleur m'arrache un hurlement. Ensuite, d'un coup de hanche, il me fait pivoter. À sa complète merci, j'effectue un demi-tour sur moi-même et lui fais désormais face. Je peux lire le contentement dégouliner de son visage. Son corps osseux se plaque contre le mien. Il... il force son regard en moi. Je pousse, résiste, si seulement je pouvais agripper quelque chose... un... un couteau ? Oui un couteau, un couteau dans... dans ma poche, je vais certainement en trouver un. Ma main plonge vers mon pantalon alors que ses deux prunelles noires m'aspirent. Son emprise grandit et m'attire dans le tunnel de son subconscient. Un son, un son me parvient, quelqu'un ! J'ouvre les yeux et Randall se tient là, dans ma chambre, sur le pas de la porte.

— Lâche-la, lâche-la tout de suite fils de pute.

Mon agresseur me tire par les cheveux et me jette contre la commode. Ma tête heurte durement le meuble en bois. Un vertige m'éprend alors que je vois Randall se jeter sur le « SS ». Les coups de poing pleuvent d'un côté comme de l'autre. À chaque coup échangé, une gerbe de sang s'envole dans un bruit d'os brisés, une véritable boucherie. Les deux hommes s'engagent dans une lutte à mort. De part et d'autre, les coups s'enfoncent dans le visage adverse. Soudain un coup de feu. Randall recule et se tient la poitrine. L'officier allemand claudique vers sa cible et lance ses deux mains en direction de son visage. Le geste me rappelle étrangement la scène de tout à l'heure avec le garde. Je... je dois faire quelque chose. Je me lève et plonge en direction des deux hommes pour les séparer. Comme s'il m'avait sentie venir, le « SS » dégaine sans même me regarder et tire. La balle me fait l'effet d'un coup de poing, je suis stoppée net dans mon élan et ressens quelque chose de glacé sur ma poitrine. L'instant d'après, une nappe de chaleur auréole le point d'impact. Ma blouse s'imbibe de sang. J'observe Randall. Il meurt lui aussi. Le gradé allemand me regarde avec un sourire sadique avant de forcer son regard dans celui de Randy. L'homme l'hypnotise comme pour maintenir une sorte de contact. Ma vue se brouille et j'éprouve des difficultés à respirer. Je... je vais mourir, non, je me réveille. À l'instant où j'ouvre les yeux, je découvre les deux perles noires de l'officier allemand. Il est sur moi, il me domine, il... il m'empêche de me réveiller. L'asphyxie est là, j'étouffe dans mon sang, je ne respire plus, je... je vais mourir et son regard sera la dernière chose que je verrai. J'essaie de me débattre, de crier, lorsqu'une masse se jette sur mon tortionnaire dans un grondement animal. Kiwi s'est rué sur lui. Alors qu'ils passent tous deux par la fenêtre, je me réveille en sueur.

Une grosse langue me lèche le visage. Je suis alitée et Kiwi est debout sur moi. Ma main plonge en direction de ma poitrine. À l'endroit même où la balle était logée, une sensation de brûlure me ronge, comme si ma chair, pourtant intacte, se remémorait l'agression. Kiwi colle son visage contre le mien, et me lèche à nouveau. Je l'ébouriffe et le remercie de m'avoir sauvée. L'esprit encore focalisé sur le cauchemar, je ne parviens pas à m'en détacher. Je suis encore à moitié enfouie dans cette attaque, des flashs me reviennent... d'abord le garde, ensuite Randall... Randall !!! Je saute du lit et m'élance dans le couloir. Kiwi me talonne, il ne me lâche pas d'une semelle. Je double une série de portes, l'escalier qui mène vers la salle à manger, les appartements du propriétaire se situent à l'opposé. Lorsque la porte de sa chambre se dessine, ma course s'interrompt net. Deux personnes m'ont devancée. Je reconnais Oswald, il tient Loïs dans ses bras, elle pleure, elle est effondrée.


Le Garde RêvesWhere stories live. Discover now