Chapitre 15

38 4 0
                                    


Jeudi 18 heures

L'après-midi de cours s'est déroulé pour la première fois sans encombre. Un mot m'est venu à l'esprit toute la leçon durant : ennui. Autant dire que cet après-midi, la déception était au rendez- vous. Déception, c'est un surnom qui lui irait bien. Jeune, la voix aiguë, elle dégageait au travers de sa tenue pimpante une prétention sans égale. Silhouette élancée, regard clair rehaussé d'un léger teint hâlé, le Docteur Cherronge ne vous regarde pas, elle vous toise. Ses collègues ne cessent de l'encenser et pour cause, elle fédère et rassemble autour de son minois le meilleur taux d'audience. Un ravage auprès des étudiants masculins. À mes yeux, ses capacités se résument à la lecture d'un exposé façon ex cathedra dont les sources datent du siècle passé. La compétence d'une taupe, la valeur ajoutée d'une limace. L'horreur.

L'ennui me laisse le temps de réfléchir. L'expérience onirique pique ma curiosité, elle m'appelle ! Mais cette histoire de somnifère ne me plaît pas du tout. Je cogite sur la question durant toute la fin du cours. Même lorsque l'heure de rentrer sonne, je reste silencieuse, perdue dans mes pensées.

Le retour au kot universitaire est une délivrance. Nous déambulons dans notre building. Dans le couloir en linoléum, Élo, Oswald et moi avançons en direction de nos chambres respectives dont les portes sont alignées côte à côte.

— Les filles, j'ai besoin d'un coup de main.

Élo et moi nous regardons interloquées.

— Que veux-tu ?

— Mon lit est cassé, je vais devoir dormir chez vous.

Un léger vent de panique souffle sur notre intimité. Sans attendre, Oswald entre chez lui comme un trublion dans une quincaillerie. Des échos de fracas nous parviennent pour notre plus grande perplexité. Il ressort quelques secondes plus tard, son matelas entre les mains.

— J'peux dormir chez toi Élo ?

Un coup de sang me remue tout le corps.

— C'est n'importe quoi !

Oswald me lance un regard d'enfant privé de friandises.

— Mais... mon lit est cassé, tu ne vas quand même pas me refuser le logis ?

Je m'enflamme :

— Mets ton matelas par terre et dors sur ton propre sol !

Oswald se pince les lèvres.

— Ben, c'est à dire que non...

— Non ?

— Non...

— Comment ça non ?

— Non... c'est impossible.

Il hausse les épaules et me lance un regard embarrassé. Je le bouscule et avance dans sa chambre. Une odeur putride m'agresse immédiatement les narines. Un mélange de vieilles chaussettes et de lait fermenté empuante les lieux. Ce que je vois dépasse l'entendement. Des vêtements sales se disputent le mobilier aux tiroirs entrouverts. Le sol ressemble à un lave-vaisselle oublié. Sur le bureau, une multitude de boîtes de conserve usagées sont utilisées comme poubelles. De-ci, de-là, des caisses aux tailles disparates privent la pièce du moindre espace. Je lorgne en direction d'un amoncellement de sacs remplis de pâtes, de riz et autant d'aliments impérissables qui constituent son unique régime. Son antre ressemble à un refuge qui ne pourrait même plus accueillir un simple matelas.

— Oswald, ce n'est pas ton lit qui est cassé.

— Ah non ?

— Le problème se situe plutôt... au niveau de ta tête... comment peux-tu vivre dans un tel désordre. Laisser les choses aller si loin, c'est... pathologique.

Je me retrousse les manches.

— Élo, tu as des gants de vaisselle ?

— Euh oui pourquoi ?

— Je crois qu'on va en avoir besoin.

Elle entre dans la chambre et retient un cri d'horreur. Sans attendre, je me plonge dans le rangement. Me vider l'esprit me fera le plus grand bien.


Le Garde RêvesWhere stories live. Discover now