Chapitre 35

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Les rayons du soleil caressent nos corps étendus. Ma peau contre la sienne, je l'enserre un peu plus, comme si nos deux êtres ne pouvaient pleinement exister qu'à l'unisson. Je le serre entre mes bras, mais pas assez. Tout mon être le réclame, c'est comme si un feu, un volcan, un soleil bouillonnaient en moi.

Ses yeux marrons épousent les miens. À l'intérieur de mon être, les secousses de plaisir se répercutent encore en un véritable séisme émotionnel.

— John... Je voudrais rester ici, avec toi, pour la vie, ne plus bouger, rester juste là, dans tes bras, à tout jamais.

Il pouffe.

— Je n'ai rien contre, mais à passer notre vie à faire l'amour sur la plage on risquerait de devenir la nouvelle attraction du camping.

Je rougis, mais ne baisse pas les yeux. Je réponds sur un ton provocateur :

— Je m'en moque.

Il se redresse sur les coudes m'offrant le spectacle d'un torse musclé et bruni de soleil. Sa main se tend en direction du sentier.

— Tu ne diras plus ça lorsqu'ils installeront des jumelles munies d'un monnayeur pour que les vieux puissent venir nous mater.

Ses yeux brillent d'espièglerie et c'est mon cœur qui s'illumine. J'avance et pose mes lèvres sur les siennes.

— Ils pourront regarder à s'en faire mal aux yeux, moi, je ne vois que toi.

Il me rend mon baiser avant d'adopter cette mine que je déteste tant. Le visage fermé de l'homme sérieux.

— Syd, je vais être cash, direct et franc. Je ne peux pas rester.

Dans ma poitrine, mon cœur manque un battement.

— Comment ?

— Je suis un fantôme, une ombre, un rêve que Pierre tente de débusquer. Jamais je ne pourrai passer la frontière avec vous. Ma seule échappatoire est de rester en Australie avec ce mode de vie qui est le mien, ce mode de vie que nous avons partagé quelques semaines durant.

Je revois nos premiers jours, voyageant de motel en motel, changeant de voitures toutes les semaines avec des paiements de main à la main. Pas une fois il n'a donné son nom. Pas une fois on ne le lui a demandé. Je plonge sur son torse et l'enserre de toutes mes forces.

— Tu ne peux pas t'en aller, je te retiens.

Il se laisse étreindre et nous profitons de l'instant. Soudain je m'écarte, la solution m'apparaît évidente.

— Il me suffit de partir avec toi. On plaque tout et on vit avec des noms d'emprunt, juste toi et moi ! Avec ta connaissance du terrain, nous deviendrons introuvables !

Il m'adresse un sourire admiratif.

— Tu es décidément prête à tout, pour que nous nous retrouvions juste tous les deux.

Je colle mes lèvres à nouveau sur les siennes. Le contact dure une éternité, un souffle. Son front se pose sur le mien et sa bouche s'écarte. Sa voix n'est qu'un murmure :

— Syd, ton optimisme m'émerveille, mais la réalité l'emporte. Souviens-toi, tu étais non identifiée, dans le coma, inconnue de tous et pourtant, pourtant, ils t'ont retrouvée.

Je lui mordille les lèvres.

— Tu m'as trouvée avant eux... John secoue un visage résigné.

— Ce n'est qu'une question de temps avant que Pierre ne remette la main sur nous. De plus, être fugitif ce n'est pas vivre, c'est survivre. Te complairais-tu d'une vie de fuite ? En stress constant avec cette impression qu'une ombre t'attend à chaque coin de rue ? Choisirais-tu de regarder par-dessus ton épaule en permanence ? De ne dormir que d'une oreille, d'éviter les lieux publics, les hôpitaux...

Il enfonce son regard dans le mien :

— D'éviter les crèches, les écoles...?

Sa phrase me percute. Le souvenir de mon enfance me provoque un pincement au fond de mon être. Un silence s'installe. Ma voix déraille :

— Quand j'étais petite, nous vivions de cette manière.

John approuve.

— Ton père ne voulait pas être trouvé. Il a tout fait pour te protéger.

Ma mine se barre d'un pli soucieux.

— Il s'absentait régulièrement en semaine et c'était mon amie Loïs qui me gardait le soir. Tu sais pour quelles raisons ?

— Il construisait un mouvement de résistance dans le plus grand secret pour contrer les projets de Pierre.

Je revois l'appartement de Justin. Le mur du troisième étage, l'enquête à mon sujet. L'article surligné au fluo jaune : « Une source d'eau miraculeuse trouvée à Yanakie ! Les habitants racontent l'histoire d'un forage improbable. »

— Et c'est ma vision qui a tout déclenché.

John hausse les épaules.

— Pierre vous aurait retrouvé d'une façon ou d'une autre, tout comme il nous retrouvera à nouveau dans les semaines qui viennent. Il n'y a qu'une solution Syd, il te faut le combattre.

Je serre le poing.

— Je suis prête à reprendre le flambeau !

Il plante ses prunelles sombres dans les miennes, un peu comme il le faisait à l'université. Je me laisse dévorer.

— Nous le ferons Syd, nous l'affronterons ensemble, mais pour le combattre, tu dois d'abord te débarrasser du spectre qui plane en toi. Tu as la particularité de te déplacer plus loin que nous. Même Pierre ne s'aventure pas dans l'au-delà.

— L'au-delà ?

— Oui, l'au-delà. Tu tâtonnes dans des sphères que tu ne maîtrises pas. Il te faut les bons guides et les bonnes formations.

Mon visage se tend, pris par une excitation vive.

— Pourquoi ne me formerais-tu pas comme par le passé ? Tu m'as appris la suggestion, tu m'as initiée aux tests d'éveil, c'est aussi à toi que je dois ma capacité à sortir d'un rêve.

Ses yeux se fixent sur l'horizon.

— Tu me prêtes beaucoup trop de compétences Syd. Je ne peux t'enseigner que les techniques du subconscient... Le reste te revient entièrement. Souviens-toi.

Il pose son index sur mon cœur, le contact m'électrise.

— C'est toi qui avais verrouillé la porte dans la salle de bain m'empêchant d'intervenir quand Justin planait autour de toi. C'est encore toi qui as réussi à me plonger dans un rêve par un simple toucher de la main.

L'épisode de Maman nous revient en mémoire. J'avais en effet reproduit notre réalité pour qu'il me conduise jusqu'à sa tombe. Un silence s'abat sur nous, lourd, épais. Il nous enveloppe et nous empêche de reprendre la parole, alors, je décide de dessiner. Du bout des doigts, je saisis une brindille et retrace dans le sable la goutte que Pierre avait dessinée dans le ciel. Lorsque le symbole est achevé, je me contente de dire :

— Explique-moi.


Le Garde RêvesWhere stories live. Discover now