Chapitre 6

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Mardi — dix-huit heures

On tambourine à la porte. Je me redresse, assise sur le lit, la nausée m'envahit. De l'autre côté de la cloison, j'entends crier :

— Syd?! Syd, t'es là ?

La pénombre s'est emparée de l'appartement. Mais bon sang, quelle heure est-il ? J'observe mon lit. J'ai sombré dans un sommeil noir, de plomb, sans image, juste ma tête enfoncée dans l'oreiller. Pendant toute l'après-midi ? De nouveaux coups.

— Sydney, j'te préviens, si t'ouvres pas j'défonce ta porte !

Je me lève tant bien que mal. Mon univers tangue. Tel un zombie, je titube jusqu'à la poignée. D'un geste maladroit, j'ouvre. Élo, les yeux furax, se campe devant moi. Devant mon visage défait, sa frimousse fond.

— Mais Bon Dieu... qu'est-ce qui t'arrive ? T'es malade ? Tu as de la fièvre ? T'as une de ces têtes...

Pour toute réponse, je fais demi-tour et retourne vers mon lit. La colère muée en inquiétude, elle m'accompagne et pose sa main sur mon dos qu'elle frotte comme pour me donner un peu d'énergie.

— T'as loupé la première journée. Syd, ça ne te ressemble pas du tout.

Mon regard vide vogue dans la pièce sans trouver de point d'accroche. J'ai l'impression d'avoir la caboche lobotomisée.

— Je... quelle heure est-il ?

— Dix-huit heures... Ça va ? Il s'est passé quoi hier ?

— Oh, Élo, au début c'était cool... Il y avait cette soirée, il y avait John... il est en dernière...

Elle ne dit rien et se contente de passer sa main sur mon dos.

— Un gars super, vraiment super ! Il m'a présenté à ses amis et puis... et puis...

Ma voix se brise, je fonds en larme, de chaudes larmes, abondantes, ruisselantes.

— Viens-là ma belle.

Élo m'enserre, je fonds, je craque.

— Tu sais ma belle, avec tout ce qui t'est arrivé, c'est normal d'être un peu perdue. Tu te mets beaucoup trop de pression je crois.

Je sanglote et n'arrive plus à articuler. Élo s'enflamme.

— Mais enfin Sydney ! Rien ne t'oblige à attaquer si tôt ta première année de Bachelier ! Tu n'as que seize ans, tu ne pourrais pas prendre le temps ? Comme tout le monde ?

Elle se calme :

— Tu... tu n'es obligée de rien... tu pourrais t'inscrire dans une institution de prestige, avec tes résultats et ton esprit au-dessus de la norme, une école privée t'accueillerait les bras ouverts. Tu serais encadrée, ce serait plus facile non ? Rien ne presse. Pourquoi t'imposes-tu tes propres difficultés ?

Je secoue la tête.

— Tu ne comprends pas Élo...

Je renifle bruyamment, elle me tend un mouchoir.

— Merci...

Je me mouche sans grâce.

— Toute ma vie, j'ai été différente...

Mes doigts serrent le mouchoir un peu plus fort.

— La super intello, la pauvre fille sans parents. On murmure quand je traverse la cour de récré, on me prend en pitié, on parle de moi, oui, mais de loin, toujours de loin.

Le Garde RêvesWhere stories live. Discover now