Chapitre 47

1.3K 72 99
                                    

Émeris,

J'aimerai pouvoir encore t'appeler mon amour mais ça ne serait pas juste de ma part. Pas après ce que je t'ai fait, en tout cas.

Je m'en vais bientôt et je ne sais pas dans combien de temps je reviendrai, c'est donc pour moi la dernière occasion de pouvoir te dire ce que j'ai sur le coeur.

Depuis que tu n'es plus là, je m'enfonce un peu plus dans les abysses de la douleur. Chaque jour, j'ai l'impression de plonger un peu plus profondément dans un lac de chagrin, dont je n'atteindrai plus jamais la surface. J'ai commencé à mourir quand tu es partie et je meurs un peu plus chaque jour qui m'éloigne de toi. De nous.

C'est assez ironique quand on y pense puisque j'ai commencé à vivre quand tu es arrivée dans ma vie. Avant toi, je ne vivais pas. Je survivais.

Depuis que je suis petit, j'ai méprisé toute sorte de sentiments, pensant qu'ils faisaient de moi quelqu'un de faible. Et je ne voulais jamais paraitre faible devant mon père. Je voulais qu'il me voit comme moi je le voyais. Mais il ne m'a jamais vu, tout court. Toi, Émeris, tu es la seule à m'avoir vu. À avoir posé tes yeux sur moi et avoir bien voulu voir celui que j'étais. Tu es la seule à avoir été curieuse de savoir ce qui pouvait se cacher derrière l'image que j'ai toujours voulu donner. Celle d'un garçon pourri gâté, malpoli et intéressé seulement par l'argent et la drogue. Et tu as appris à m'aimer malgré ça.

Avant de te rencontrer, je n'avais jamais compris le fait d'aimer quelqu'un plus que soit. Tenir à une vie plus qu'on ne tient à la sienne. Mais ça, c'était avant toi. Maintenant, je comprends. Tu as fais de moi une personne différente.

Nous n'aurions pas pu être plus différents toi et moi. Nous venons de deux mondes opposés. Mais dès la première fois où j'ai posé mes yeux sur toi, j'ai su que tu serais la raison même de ma chute. Il y'avait quelque chose chez toi qui a réveillé une flamme en moi et j'ai su à cet instant que je filais droit vers mon propre naufrage.

Nous n'étions encore que des enfants et je ne comprenais pas pourquoi ta voix me restait autant. J'ai toujours pensé que c'était parce que je te trouvais insupportable. Tu étais cette petite emmerdeuse venue droit de la Zone, tes genoux étaient toujours abimés parce que tu étais une casse-cou et tu n'avais peur de rien. Et moi, j'étais terrifié et je me cachais sans cesse derrière ma famille et notre argent. Je crois que quelque part j'étais jaloux de cette liberté que tu avais.

Mais je sais maintenant que j'étais simplement incapable de m'avouer que j'avais été frappé de plein fouet par la foudre d'une minuscule Pogue à la mine espiègle. Et pendant toutes ces années, j'ai continué à te détester pour masquer la tornade de sentiments qui se déferlait en moi et que j'étais incapable de contrôler. Mais je savais qu'au fond, j'étais inapte à lutter. Tu étais toujours là, à trainer avec Sarah. Ton rire résonnait contre les murs de Tannyhill et ton parfum hantait la maison.

Mais j'étais trop fier pour admettre que le Grand Rafe Cameron n'était rien face à la Pogue dont il était misérablement tombé amoureux. Et je crois que j'avais peur aussi. Que tu ne veuilles pas de moi. Et tu aurais eu raison. J'étais un idiot. Je le suis toujours.

Quand mon père m'a donné cette mission, je n'ai pas pensé une seconde à toi. J'ai été égoïste parce que pour la première fois de ma vie, mon père avait vu en moi une occasion de me donner une responsabilité. Il me faisait confiance et jamais rien n'avait été aussi gratifiant. Mais maintenant rien de tout ça n'a d'importance. Je crois que j'aurai préféré rester invisible à ses yeux si ça impliquait, désormais, de ne plus le rester aux tiens.

La réalité m'a frappé de plein fouet à cette stupide Fête du Solstice. Je ne pouvais plus lutter et pour la première fois, j'ai compris que j'étais tombé amoureux de toi. Depuis le début. Que derrière cette haine, cette irritation se cachait quelque chose de bien plus puissant. À l'instant où tu as descendu ces marches, l'air déboussolée alors que tu étais accompagnée de ta mère, j'ai su que j'étais la définition même d'un homme creusant, seul, sa propre tombe.

The Kook next door - Rafe CameronWhere stories live. Discover now