74. Enviez moi

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Cher carnet, on envie parfois de moi la vie que je mène sous  les beaux jours. 

On m'envie la liberté d'avoir crié au milieu d'un désert où je m'y suis sentie moins seule que dans ma propre maison. 

On m'envie la fougue de danser avec des inconnus dans la foule parfois plus familière que ma famille.

On m'envie mes amours et mes baisers passionnés sans savoir qu'ils existent juste pour oublier le tout premier.

On m'envie ma beauté, celle qui fait jalouser et qui me permets de douter de la sincérité de tout ceux qui m'ont abordé.

On m'envie ma culture, ma maturité acquise au fil des années. Car maintenant que tout semble me réussir je n'oublie pas toutes les nuits de peine à me demander pourquoi j'étais si différente.

Non je n'oublie pas le temps où je préférais la compagnie d'un bouquin à celles de gosses infâmes. Je n'oublie pas les poèmes isolés que j'écrivais pour enjailler la solitude alors que je creusais un peu plus mon asociabilité.

Je me souviens des rires derrière mon dos, des regards apeurés quand je levais le poing et des groupes qui se forment autour de moi pour mieux m'achever.

Et c'est sûrement faux mais j'ai le souvenir d'avoir eu le monde sur mes épaules. A un âge où on n'est pas censé tout comprendre et on supporte le poids de l'absence d'innocence. On comprend que les adultes n'ont pas toujours raison et c'est une illusion qui s'écroule.

Et alors qu'avant on s'empressait de tout savoir, je me rends compte qu'aujourd'hui je fais parfois semblant de ne pas comprendre pour profiter un peu plus longtemps.

On m'envie ma vie, sans envier les jours gris.

On envie les soirées alcoolisées sans envier l'angoisse quand il va falloir rentrer.

On envie les conquêtes sans envier les "faut qu'on parle".

On envie les voyages sans envier les heures de route d'affilées sans rien manger.

On envie l'intellect sans envier la souffrance d'être le grand méchant loup de l'histoire.

On envie ma vie sans vraiment l'envier en fin de compte.

Car oui, les nuits ont bien été belles, noires ou illuminées. Du haut de quelques étés j'ai souvent profité mais je ne supporterai pas le fait de me voler mes instants de bonheur et d'humanité. Je crois avoir le droit de me volatiliser des fois et de le mériter.

De m'échapper des injures, des angoisses, des tracas des vagues de l'âme. Et oui c'est vrai qu'il y a aussi eu des beaux jours. Mes plus beaux instants parfaits. Des regards, des touchés, des mots, des attentions, des baisers. 

Et les plus merveilleux sont les plus singuliers. Ceux qui sont là comme un miracle dans la journée. Ils sont comme des papillons qui dansent sous le vacarme de l'esprit et ils s'harmonisent pour que je puisse me souvenir.

Je suis peut-être à envier finalement, de tous les fragments de joie que je garde en mémoire. Ils sont là comme la récompense d'avoir vécu jusque là.

30/12/2022 Joe Dassin - L'été Indien

Céleste  [TERMINÉE]Where stories live. Discover now