83. Menteuse

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Cher carnet, plus le temps passe et plus je me demande comment je fais. On pourrait en dire des choses. Que je suis bien procrastinatrice, un peu manipulatrice, souvent actrice.  Où l'on m'a trop répéter que j'étais bonne qu'à mentir.

Et une fois qu'enfant on brise un secret parce qu'on en distingue pas l'importance, il est déjà trop tard. J'ai découvert sûrement trop tôt que les gens n'oublient pas, même lorsque l'on choisit de ne pas se souvenir. Le mal est dit, l'erreur est faite.

Et personne ne m'a dit que c'était pas grave, que ça pouvait arriver de regretter des mots. C'était trop tard. J'étais plus de la partie. Je revois encore ma sœur se taire devant moi. Je méritais pas ses confessions, j'étais pas digne de sa confiance. 

C'est ce dont je me souviens. Les longs repas le soir à être celle qui allait tout faire foirer, tout cafter, balancer, raconter. J'étais la traitresse pas vrai ?  Et ça a continué. J'ai menti, peut-être une fois, sûrement plus parce que j'avais peur. Je mentais pour ne pas décevoir et évidemment qu'on est désolé seulement quand on se fait cramer.

Et c'était trop tard. "Rappelles toi de ce jour, rappelles toi que tu es une menteuse". La confiance est brisée, encore. Et même si c'était il y a bien longtemps, j'y pense aujourd'hui. Qu'est ce que ça fait de moi à la fin ? Est ce que je suis si mauvaise, si opportuniste ?

J'aimerais bien être l'amie que je n'ai jamais eu enfant. J'aurai voulu  pouvoir me confier sans avoir la boule au ventre de finir au psy scolaire. Ouais la même qui n'écoute pas. J'aurai voulu me méfier moins, et comment ?

La cour de récrée est cruelle, et je me retrouve assise seule au fond d'un carnage. Au moins, personne n'est au courant de rien. Ils n'ont rien contre moi. Enfin si, j'étais la fille bizarre. A neuf ans on aurait pu m'en ajouter dix car à la différence d'aujourd'hui, c'est que j'avais rien à perdre.

Les curieux s'aventuraient à se lier d'amitié et partaient. Je n'en valais pas la peine. C'était donc ça alors ? Ca vient de là ? 

"Non reste, ne pars pas, je vais changer, je vais devenir meilleure."

Les gens ne changent pas, pas vraiment. Et donc ? J'ai grandis, oui. J'ai appris à me taire et à parler de banalités. Satisfaire sans se dévoiler. Ecouter en sécurité, se remémorer et réutiliser les propos après. Faut survivre. 

L'amitié c'était juste la peur ne plus être amis. Les conséquences, les représailles. C'était bien triste et pourtant on prenait l'habitude. Celui qui t'aime est celui qui te trahis, parce qu'il ne l'aura pas voulu. Et après ? J'ai grandis. Encore.

J'essai de penser plus avec mon cœur qu'avec ma tête pour toutes les mauvaises raisons du monde. Et j'ai toujours un plan B, une issue de secours. Un moyen de rebondir, de m'en sortir. Je suis ce putain de cafard qui survit à Tchernobyl. 

Et il m'arrive de parler haut, crier fort. Etre sur le devant de la scène. Maquillée d'un joli sourire, j'enrôle ce que l'on attend de moi. Je suis compréhensive.

"Non ne t'en fais pas, ce n'est pas grave, je comprends."

Et en vrai c'est : "Aïe. Touchée."

Je suis "mature pour mon âge". Tant mieux, ça arrange tout le monde, sauf moi. Je suis "ouverte d'esprit". J'en sais trop rien en fait, je voudrais laisser un peu les gens tranquille, un peu de bonheur, d'humanité qui ne nous concerne pas toujours, et il faut l'accepter. Le monde tourne sans nous. On est rien.

Et je crois que ce qui me fait le plus rire c'est quand on me dit que j'ai toujours la joie de vivre. Alors c'est donc ça l'image que je renvoie ? J'ai été beaucoup de fois en colère. Quand personne ne voyait rien et que j'étais la seule. Qu'on ne m'écoutait pas. Que c'était pas important. 

Je me raccroche aux promesses par ce que tout ce que je touche disparait. Il m'a dit que ça finirait par aller. Il m'a dit qu'il resterait. Et je voudrais tellement que ce soit vrai. J'en crève d'avoir aussi peur. De tout  gâcher comme je l'ai déjà fait. J'ai peur que le monde redevienne comme ce qu'il a toujours été.

J'ai peur que sans lui, ce soit trop tard. Que je redevienne la menteuse que je ne suis plus quand il est à mon côté. On me répète que la confiance est perdue. Qu'il n'en reste  plus rien. Et je voudrais tellement être meilleure. Mais c'est jamais assez.

Les gens n'oublient pas et tout ne peut pas être réparé. Je voudrais juste me dire que ça va aller. Que c'est du passé. Rancœur, rancune, pitié, vicié, vengeance, vengé, haine, peine, volatilisée. Enfin. Il est tard, je dois grandir encore, pour le meilleur et pour le pire.

Le public acclame, il faut sourire.

30/01/2023 Fleurie - Sirens

Céleste  [TERMINÉE]Where stories live. Discover now