Chapitre I

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I

Hannah ouvrit brusquement les yeux, réveillée par une brindille qui lui piquait la joue. Elle était au milieu d'un bosquet de ronces ; elle haleta un instant, perdue. Elle se redressa et s'étira. Cette nuit lui avait donné un avant-goût de sa nouvelle vie, et ce n'était sûrement pas la dernière qu'elle passerait à la belle étoile –car, qu'elle le veuille ou non, elle était désormais une fugitive.

Tâtonnant les alentours, elle retrouva le sentier et se hissa à la force des ses bras hors du fossé et sur la route. D'un geste instinctif, elle saisit la lettre dans sa poche. Pour plus d'intimité, et surtout pour s'assurer la sécurité la plus complète, elle n'avait pas demandé qu'on la lui lise au Bagne, et elle n'avait donc aucune idée de ce qui y était écrit. Cependant elle était certaine qu'elle était remplie de douces promesses. Elle froissa délicatement le papier, effleurant les lignes d'encre du bout du pouce.

Örka... Je vais te retrouver. Bientôt. C'est promis.

Elle reprit sa route, et sortit rapidement du bois. Elle se retrouva à marcher au milieu des sublimes paysages de la campagne desséchée par l'hiver. Marcher ainsi sans pouvoir voir le paysage était certes assez angoissant, pour ne pas dire franchement déstabilisant ; chaque seconde elle s'avançait un peu plus en terrain inconnu, sans pouvoir garantir qu'elle ne déviait pas du chemin, mais en même temps, cela l'amenait à penser. À penser à S. M., plus précisément. Dire qu'elle l'avait aidée ! Qu'elle lui avait promis de lui divulguer des informations sur les Fuyards ! Tant pis pour elle. Hannah avait été trahie, à vrai dire, elle avait été stupide, et naïve. Comment diable avait-elle pu penser un instant que cette règne maléfique était digne de sa confiance ? Elle devait avoir la liberté, la paix, garantie pour au moins quelques années. Elle aurait dû pouvoir s'établir tranquillement, se contenter d'aller chercher son argent et d'informer S. M. si elle savait quelque chose... Et ils ne lui avaient laissé qu'un mois. Un seul mois...

Elle se souvenait de sa sortie comme si elle s'était déroulée la veille.

Elle avait quitté le Bagne insouciante, forte d'une promesse de liberté inédite dans sa vie. On lui avait procuré cinq cents livres, comme promis. Et elle s'était mise en chemin après avoir salué le nouveau directeur du Bagne, Anton Microft. On lui avait dit que Jerrick Bradd-Pinson était parti pour une île, Sainte-Hélène ou quelque chose comme ça. Puy était parti depuis longtemps pour les mines dans le Nord ; quant à Lii, elles ne s'étaient plus jamais croisées, mais on l'entendait quelques fois hurler pendant la nuit, preuve que le docteur était loin d'être devenu aussi sympathique qu'il voulait le laisser paraître. De toutes façons, elle ne s'en souciait guère ; elle avait été la plus intelligente, et c'était tout ce qui comptait.

Et avant cela, on avait amélioré sa vie. Elle avait eu droit à une petite promenade quotidienne dans la cour, durant laquelle le Docteur Hudson la saluait toujours presque amicalement en buvant un petit café ou en fumant une cigarette.

Sur le moment, quand elle était sortie de cette enfer où elle avait passé près de quatre ans de sa vie, elle était si insouciante qu'elle en avait presque oublié Örka. Elle était partie, libre, par les grands chemins, traversant la campagne. Elle s'était arrêtée à quelques auberges, avant d'arriver, après plusieurs jours de marche, à la ville de Midschraft. Là, elle s'était trouvé une logeuse. Et elle avait passé trois semaines bien tranquilles dans sa petite chambre, s'enivrant de l'odeur du marché le samedi, songeant à sa vie passée le reste du temps. Elle avait éprouvé un réel besoin de se décontracter, de laisser toutes ses angoisses et toutes ses douleurs sortir des profondeurs de son corps.

Un jour, elle partit au bureau de poste chercher les cinq cents livres qu'on lui avait réservées. Elle avait déjà dépensé une bonne partie de sa première paie. Elle se souvenait d'avoir songé qu'elle s'était assez préparée, et qu'après cette longue pause, il serait grand temps qu'elle parte à la recherche des Fuyards. Elle avait prévu son départ pour le lendemain, et elle comptait trouver en route quelqu'un assez digne de confiance ou du moins assez neutre pour lui lire la lettre.

Elle était rentrée chez elle, sans remarquer bien sûr les affiches fraîchement placardées partout dans les rues. Sa logeuse l'attendait de pied ferme.

– Qu'est-ce que c'est que ça ? s'enquit-t-elle.

Elle brandissait une des affiches du dehors.

– Je... Je ne vois rien. Je suis aveugle.

Hannah avait bien constaté à ses dépends que sa cécité n'était pas une maladie qui courait les rues, et que, n'ayant aucune preuve matérielle à fournir, il était rare que les gens dépourvus de sensibilité la croient.

– Mais oui, et vous êtes une gentille petite fille aussi !

Elle lui frappait le visage avec le papier.

– J'ai juré fidélité à S. M. au nom d'mon pays, moi ! J'veux pas d'ennuis, moi ! J'héberge pas les criminels, moi !

On entendait à sa voix qu'elle tremblait et qu'elle pleurait ; mais en l'instant présent, c'était surtout une colère masquant sa peur qui dominait.

–De quoi parlez-vous ? lui demanda Hannah, impatiente et commençant à avoir peur elle aussi.

– Ne faites pas l'idiote ! cria l'autre en lui brandissant le papier. Ce n'est pas votre tête, ça, peut-être ?

Hannah s'était tue. Elle avait peur de comprendre.

– Cinq cents livres ! Cinq cents livres pour votre tête !

La femme la saisit par le menton.

– Donnez voir. Non, aucun doute possible. C'est bien vous ! Ah, mais j'vais vous dénoncer, moi, crapule ! J'sais pas comment vous avez fait pour changer de tête comme ça. La chirurgie, hein, de nos jours ! J'imaginais pas. Enfin, ça dit juste "La nouvelle figure de Clemence Hawcourt"... C'est toi, crevarde ! T'es bien la pire que j'aie jamais vu. Tout c'que j'ai entendu parler de toi. Ah ! bien vrai, on va t'pendre, crois-moi !

– S'il vous plaît... Au nom de ce qu'il vous reste de pitié... Laissez-moi une journée. Une seuleSi je suis toujours là demain, vous pourrez me dénoncer. Je vous donne soixante livres.
– Mouais. Je te laisse trois heures. Tu paies tout de suite.

Alors elle avait payé. Elle était montée plier ses affaires en vitesse et avait emporté sa sacoche. Une fois descendu le petit escalier, elle avait entendu sa logeuse en pleine conversation avec... trois Hommes en Violet – elle l'avait senti aux auras de danger et de malaise qu'ils dégageaient et aux sons étranges qu'ils grommelaient. Elle aurait pu remonter sur la pointe des pieds puis sortir par la fenêtre, mais elle a choisi la voie rapide. Et la plus dangereuse.
Elle a glissé à toute vitesse entre eux, en a poussé un au passage, a frappé au hasard, et s'est mise à courir. Elle les a entendu la prendre en chasse. Et voilà où elle en est à présent.

Hannah se prit la tête dans les mains.

Qu'as-tu fait ? 

Non. Elle rectifia, emplie d'une haine qui lui donnait une force nouvelle : Que m'a fait S. M. ?  Je suis prise au piège. Si je comprends bien, elle m'a donné l'identité d'une personne recherchée. Je suis condamnée à m'enterrer ou à me faire tuer. Si jamais je retrouve cette satanée Clemence Hawcourt, elle va payer pour ses crimes !

Voyons. Dois-je vraiment continuer à avancer ? Ne devrais-je pas rester en rase campagne ? Où aller. Et puis, non. J'en ai marre. Elle a voulu me faire baisser la tête, elle va voir de quel bois se chauffe une Huckledown. Va te faire voir, S. M. ! Tes Hommes en Violet ne me font pas peur. Viola Hier !

Voilà, l'intrigue est lancée ! Qu'en pensez-vous ?
*Je dédie ce premier vrai chapitre à mes fidèles HenrikyFinst, Star-writers et bryan47, avec tout plein d'amour*

Les Gardiens de l'Œil (Les XXIs, livre II)Where stories live. Discover now