Chapitre XX

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XX

Les Fuyards s'étaient installés confortablement dans la Rétine. Deux semaines avaient passé, et ils n'avaient pas perdu leur temps. Ils s'étaient rendus aux villages voisins, et avaient investi une bonne partie de leur trésor dans des vêtements, ustensiles, et matériaux pour s'installer durablement. La majorité de leurs meubles avaient été faite de planches par leurs soins. Une large tente et huit cabanes de solides planches – quelques-unes étaient encore en travaux – composaient leur campement. Le bois des planches était trempé pour être imperméable et ils avaient mis tous leur savoir-faire dans l'élaboration de ces petites maisons. C'étaient des merveilles d'organisation et on y vivait vraiment bien – surtout par rapport à leur précaires gîtes précédents.

Au centre de la clairière, devant la large pierre, se dressait le trône de Maïke – une large siège de bois surélevé munie de deux petits échelons pour faciliter son accession. Il était décoré d'une sorte de grande crinière sculptée – Maïke s'était permis ce petit écart au programme chargé de l'installation, et le résultat augmentait sa majesté quand il dominait ses semblables. Il passait le plus clair de son temps perché là, les jambes sur un accoudoir et le cou sur l'autre, son dos bien calé sur le fond. Il dressait ses plans et la liste des tâches de la journée.

Ce jour-là, il était qu'un premier groupe d'homme aille chercher de l'eau pour remplir leur citerne et chasser, tandis qu'un autre se diviserait pour aller dans deux villages différents échanger des bijoux pour de l'argent liquides. Un groupe de femmes s'attelait à coudre de nouveau vêtements des bâches de stockage avec les grandes quantités de tissus qu'ils avaient acheté. Un second groupe de femmes, secondées de quelques hommes terminait la construction des dernières cabane – elles devraient encore achever les meubles tandis que tous ceux qui restaient étaient occupés à cuisiner le repas.

Le camp lui-même avait été pensé avec soin. À proximité de l'endroit où ils étaient entrés la première fois était le bâtiment principal, qui possédait un grand garde-manger où ils entreposaient les vivres et ils faisaient sécher le rare gibier qu'ils parvenaient à attraper. Ensuite ils avaient un coffre pour le trésor, qu'ils recouvraient de leurs draps en trop pour lui assurer une éventuelle protection supplémentaire, plus superstitieuse qu'autre chose. La majorité de la place était occupée par leur coin cuisine, avec une table faite de tréteaux et une armée de tabouret – la table se déplaçait aisément, car il leur arrivait souvent de manger à la belle étoile.

La cuisine était une assez large et haute tente. À l'intérieur, on faisait le feu dans un trou creusé dans le sol sous une sorte de cheminée de pierre – et c'était sur cette dernière qu'ils cuisaient leurs aliments. Enfin, huit longues maisonnettes de bois étaient alignées avec un grande précision et un même espacement ; quatre à droites de l'Œil et quatre à gauches. Chacune comportait un dortoir de quatre personnes, c'est-à-dire une paire de lits superposés. Ils avaient donc beaucoup de place, trop de place : c'était prévu. Maïke avait une maisonnette tout à lui, qui reposait en partie sur un solide arbre dépassant de la couronne presque parfaite. Il y dormait avec Örka dans leur large lit double à duvet de fourrure et ils y avaient même une petite table avec trois chaises. Meerk possédait également sa propre petite cabane, proche de celle de Maïke, où rentraient à peine son lit assez court, son petit tabouret et un minuscule caisse où il rangeait ses quelques vêtements.

Örka passait beaucoup de temps sur un épais coussin au pied du trône de Maïke, la tête reposant de temps en temps sur ses jambes. Quand elle avait envie de changer de position, elle se tenait debout à ses côtés – et parfois il la prenait sur ses genoux.

– Le temps est venu de commencer quelque chose de grand, lui dit-il soudainement tout en continuant à lui caresser le bras.

– C'est à dire ? s'enquit-elle en fronçant les sourcils – ce qui la rendait encore plus adorable.

– Cette pierre, cet ostracon. C'est pour lui uniquement que nous sommes venus dans la Rétine. C'est la base même de la prophétie.

– Je comprends, mais j'aimerais que tu sois plus complet. Ce n'est pas avec quatre mots que tu vas motiver les nôtres.

– Oh, pour ça, ne t'en fais pas. Une bonne démonstration vaut tous les beaux discours du monde pour motiver les esprit un peu incrédules sur les bords. Tiens-toi prête. Ce soir, nous entreprendrons quelque chose de grand – et ensuite, nous aurons besoin de toi.

– De moi ? Et pourquoi de moi ?

– Je ne tiens pas à ce que nous restions quatorze pour le restant de nos jours. Ce n'est pas avec ça que nous pourrons renverser la monarchie. Je sais que tu pourras nous trouver des alliés. Les villes et les villages possèdent tous des opposants au régime, et tu es celle qu'il faut pour les rallier à notre cause.

– Tu crois ?

– J'en suis sûr.

– J'aime quand tu as confiance en moi. Je dirais même que ça me plaît beaucoup, dit-elle en grippant sur ses genoux.

– Ohoho ! s'exclama-t-il avec un petit sourire en coin.

Elle se pencha se lui, pressant sa poitrine contre son torse et agrippant son col à deux mains pour mieux l'embrasser. Elle lui offrit ses lèvres presque sauvagement mais il la calma en un baiser doux et léger, l'effleurant à peine. Elle lui caressa la nuque, fébrile ; il fit lentement glisser ses main le long de sa colonne vertébrale, et elle frissonna.

– Ça ne te dérange pas que nous soyons en public ? s'enquit Maïke en s'écartant un instant des bras de sa petite amie.

– Tu as raison, nous devrions aller à la cabane, déclara Örka en se relevant.

***

Après le repas du soir au clair de la lune Maïke resta assis à côté du feu de camp. Il regardait le ciel ; la fumée formait par-dessus le voile noir de la nuit une nuée épaisse et légèrement bleutée.

– Oui, murmura-t-il, Il sait, Il me surveille. Je ne Le décevrait pas. Il a créé un contexte favorable.

Puis il reprit plus haut :

– Oui, très favorable. Un contexte idéal et parfait.

Il se tourna vers le groupe qui regagnait ses baraquements.

– Fuyards ! Aujourd'hui, vous n'aurez plus aucun doute quant à la véracité de la Prophétie et de la puissance d'Haars Besoor. Sa Magie, sa force surnaturelle est en nous, terrée et enfouie au fin fond de nous-mêmes. Notre devoir est de la faire éclater au grand jour pour célébrer Sa gloire et apporter Son règne au commun des mortels. Tel est l'ultime but de notre existence, car nous ne sommes pas des hommes, nous sommes les Gardiens de l'Œil .

Il s'était levé et pointait du doigt la large pierre plate.

– Cette roche a été taillée et peinte par nos ancêtres, mais elle a été créée par Haars Besoor. Il est la Divinité Suprême. Les dieux des humains, ha ! Ils n'existent pas, ils sont des prétextes qui les détournent de la réalité. Mais Haars Besoor en a assez de toutes ces impiétés et de ces religions païennes. Nous devons rétablir la vérité pour rendre l'humanité pieuse envers le Tout-Puissant. Tel est l'objectif premier et dernier de la Prophétie. L'Élu, le Prochain, nos parents, notre passé, tout ça, ce ne sont que des détails. Tout a été écrit, mais c'était une écriture sans importance, dont le seul but était de nous amener à cet instant – et cet instant lui-même nous conduit au futur. L'essentiel est devant nous. Vous n'imaginez même pas les pouvoirs de cet Ostracon.

Les Fuyards, intrigués et ne demandant qu'à être convaincus pour pouvoir enfin comprendre le sens de leur existence si parsemée d'embûches, s'approchèrent dès qu'ils leur fit signe. Du geste, il leur indiqua de se disposer à ses côtés en cercle, le regard tourné vers le centre de l'immense pierre peinte et leurs chevilles directement en contact elle.

A votre avis, que va-t-il se passer ? La réponse dans le chapitre 23 ;)






Les Gardiens de l'Œil (Les XXIs, livre II)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant