Chapitre XXVI

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XXVI

– Votre Majesté, Votre Majesté, le Courrier est arrivé !

– Parfait ! Juste à temps, le Conseil est réuni et l'attendait. Faites-le apporter et lire par un laquais, Wallas.

– Bien, Votre Majesté !

La reine quitta le confortable salon où elle attendait pour rejoindre la pièce où se tenaient les conseils de guerre. Elle avança le long des hauts dossiers des différents conseillers et officiers et s'assit sur son trône en bout de table avec un air suffisant.

– Messieurs, dit-elle en se tournant vers l'assemblée, l'Information est arrivée. Si vous le voulez bien, on nous la lira.

D'un geste de la main, elle fit entrer un laquais en uniforme, qui, mal à l'aise, tentait d'avoir l'air sûr de lui. Il portait une lettre officielle roulée et scellée.

– Comment vous appelez-vous, jeune homme ?

L'interpellé ne répondit pas tout de suite, étonné que la reine lui adresse la parole.

– G... Gus, Votre Majesté.

– Et bien, Gus, vous aurez l'honneur de nous annoncer notre première victoire, peut-être le début d'une nouvelle ère. Lisez !

Le valet dénoua le ruban rouge qui retenait le solennel rouleau de papier. Il entama sa lecture tout en dépliant lentement le parchemin.

"Lieutenant Carling, de la Première Compagnie de Pétardiers.

Au Service de Sa Majesté La Très Haute Viola Ière, de la famille McBullock, Reine des Anglais, alliés des fiers Français ;

Au Palais Royal de Buckinghamsplace Palace, à Londerplatz Centre.

Objet : Déroulé du Premier Combat de la Guerre contre la Traître Nation Allemande

"Nous avons donné la charge au signal royal. Nous nous sommes élancés avec entrain, nous avons ravagé les premières lignes. Cependant derrière ces premières lignes attendait d'autres troupes en brusque supériorité numérique. Nous avons répliqué avec toute la fureur qui fait notre fierté nationale, mais la lutte était très inégale. Sur la durée, nous n'avons pas pu répliquer. Lorsque nous avons sonné le repli, de nouvelles forces ennemies ont alors surgi de derrière nous et nous ont encerclés. Ils avaient profité de notre vague d'attaque pour nous contourner complètement et décimer la majorité des forces qui étaient restées en arrière. Nous avons été mis à terre, fusillés en masse. Les Allemands massacraient sauvage en passant à cheval sur les soldat à pied et en tranchant à coups de baïonnette. J'ai lancé une opération suicide consistant à foncer droit sur l'ennemi à toute vitesse pour le traverser, l'écraser, et espérer en réchapper. Nous nous sommes donc élancés ; nous avons infligé des dégâts aux rangs adverses et nous sommes parvenus à passer grâce à l'effet de surprise. Au final, nous étions une centaine de survivants, certains assez grièvement blessés. Certains qui n'ont pas su traverser le flot des armées allemandes ont été faits prisonniers et seront selon toute probabilité cruellement torturés avant d'être mis à mort. Il sera nécessaire d'obtenir un très grand renfort de troupes françaises pour pouvoir mener à bien le prochain combat. Si notre première bataille se solde par une défaite, rien n'est perdu, car nous restons deux nations intègre face à une seule, et fourbe qui plus eux. Cependant, méfiez-vous bien, car il nous a semblé reconnaître des mercenaires hongrois parmi les lignes ennemies.

Avec toutes les salut..."

– Taisez-vous ! Cessez ce massacre ! s'énerva S. M.

Le laquais s'arrêta immédiatement, un silence suivit.

– Hem... tenta Van Prang. Il y avait ceci avec la lettre.

Il saisit un petit boîtier noir – l'enregistreur d'intercommunication – et en pressa le petit bouton principal. Une image holographique trouble apparut au milieu de la pièce. On entendait le hurlement des soldats et les décharges des balles ; des cavaliers se ruaient les uns sur les autres et un monticule de cadavres et d'agonisants, la majorité portant des uniformes anglais, s'empilait comme une forteresse sanglante au centre de la scène.

– Coupez ça !

Varvadon toussota. S. M. se décida enfin à prendre la parole :

– Ce premier combat fut donc une défaite totale. La Première Compagnie des Pétardiers est perdue. C'est un désastre.

Elle se tourna vers le laquais tremblant.

– Gus, vous êtes renvoyé. Vous ne travaillez plus pour le palais.

– Mais... Votre Majest...

– Silence ! Vous avez été impertinent. Sortez ! Vous irez chercher votre lettre de licenciement auprès de votre Majordome Principal.

L'interpellé sortit, déconfit et désespéré, et en même temps avec une espèce de fureur naissante qui lui étreignait le cœur.

– Varvadon, vous organiserez l'exécution du lieutenant Carling. Il a failli à son devoir. En bon militaire, il saura accepter la mort. Il sera fusillé place du Peuple, devant notre bien-aimée Cathédrale. J'assisterai personnellement à sa mort. Il fera un excellent spectacle pour la populace ; avec un discours bien senti, je pourrai aisément redonner confiance aux Anglais.

– Mais...

– Pas de discussion ! D'où sortez-vous donc cette soudaine impertinence, Chancelier ? Sortez vous aussi, c'est la guerre, il n'y a pas de temps à perdre.

– Bien, Majesté, salua-t-il tout en s'éclipsant.

– Ensuite, les autres soldats... Nous ne pouvons pas tous les mettre à mort, bien entendu. Un très bon exemple, bien exécuté – c'est le cas de le dire – suffit amplement. Ils vont donc tous réintégrer au plus tôt les troupes qui partiront à la prochaine bataille. Leur dette envers leur patrie est loin d'être payée... Qu'ils combattent et périssent bravement. Il faut se dépêcher d'envoyer en France de nouveaux soldats avant que les Allemands ne profitent de la confusion pour marcher sur l'Alsace – si ce n'est déjà fait. Allons, je déclare la séance levée. Nous avons beaucoup à faire.

Elle se redressa soudainement en tapant des deux mains sur la table, pour appuyer ses propos. Elle quitta tout d'abord la pièce, suivie quelques instants plus tard des conseillers, hauts dignitaires et diplomates qui s'empressaient dans leur file indienne habituelle. Ce ne fut qu'une fois seule dans le couloir conduisant à sa salle d'audience qu'elle s'autorisa un soupir.

***

Assise sur son trône, la joue reposant dans le creux de sa main, la reine pensait. Que faire ? Ils avaient perdu une bataille, mais ils ne pouvaient que gagner la guerre. Elle ressentait un terrible besoin de se défouler. Elle commençait déjà à regretter le départ d'Hannah – elle lui aurait bien voulu arraché les ongles en susurrant de délice, là tout de suite. Mais il fallait qu'elle pense à l'avenir. Bientôt, elle aurait entre ses doigts une quinzaine de prisonniers sur qui elle pourrait passer ses fantaisies avant d'en faire un magnifique feu d'artifices de mort publique. Et cette pensée la réjouissait. Elle ne pouvait pas se lamenter quand l'extinction des XXIs était si proche ; il valait mieux, pour éviter d'être trop impatiente, qu'elle se concentrât sur autre chose. Elle sonna pour demander deux de ses dames de compagnie qui, pour l'instant, n'étaient pas en mission : la duchesse Karen de Dersby et Lady Rosie Charley-Kist.



Les Gardiens de l'Œil (Les XXIs, livre II)Where stories live. Discover now