Chapitre III

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III

Vêtu de son habituelle longue robe pourpre et ceint de son large collier d'or, le Chancelier Varvadon arpentait une fois de plus les longs couloirs de Buckinghamsplace Palace. Ses pas avaient beau être étouffés par les luxueux et épais tapis, on l'entendait venir de loin car son âge avancé le faisait souffler comme un bœuf. Ses joues étaient rougies et la sueur perlait à son front ; il criait à tout va en demandant où était la reine. Enfin il croisa la Vicomtesse Karen de Dersby, qui, en sa qualité de dame de compagnie, lui indiqua qu'il trouverait la souveraine dans sa salle du trône. Le chancelier activa encore la cadence si c'était possible, et ne tarda pas à pousser les deux larges portes de bois doré, écartant du gestes les gardes qui s'approchaient de lui.

– Votre Majesté ? s'enquit-il en parcourant du plus vite que ses jambes le lui permettaient la distance qui le séparait encore de l'imposant trône royal.

– Qu'est-ce donc, Varvadon ? aboya la souveraine, l'impatience pointant dans sa voix.

– Eh bien... Disons que nous avons un incident avec les Allemands.

– Les Allemands ? Mais parlez donc ! Je ne vais pas gérer la situation plus calmement si vous me faites attendre inutilement, bien au contraire.

– Incident purement diplomatique. Ils exigent une augmentation de leur part de revenus dans les livraisons d'armement pour la Grèce, entre autres choses.

– Un coup des Grecs, alors ? Ils leur auront monté à la tête. Oui, ils ont dû leur proposer d'augmenter le montant de la commande en munitions germaniques s'ils parvenaient à faire baisser le total, hein ? Coupez les emprunts momentanément – ça devrait les calmer. Mais c'est qu'ils voudraient faire la guerre sans y mettre les moyens, par-dessus le marché !

– Non, c'est plus complexe que cela. Nous aurions plutôt affaire à... un commencement de rébellion. Le Chancelier Huggs est mort, il y a une quinzaine de jours de cela. Personne ne nous a prévenus là-bas, et son successeur est d'un parti assez différent, qui prône l'unité nationale et la domination avant toute chose. Quoi qu'il en soit, nous avons dorénavant affaire au Chancelier Grott.

– Et vous ne me dites cela que maintenant ? Misérable abruti ! Hors de ma vue !

Varvadon se recroquevilla tout en sortant à reculons.

– Restez ici, pathétique incapable ! Vous savez parfaitement que j'ai besoin de vous. Je refuse de leur céder. Ils n'auront pas une livre de plus ! Ces traités sont répartis de façon idéales, et il en a toujours été ainsi. Ils ne font rien de plus, comment osent-ils être les premiers à se plaindre ? Ah ! Mais je leur ferai passer le goût de rire. Et s'ils ne se rétractent pas, je les pénaliserai financièrement. Je peux les détruire ; ils semblent l'oublier un peu trop rapidement.

– Nos diplomates tentent de trouver un accord actuellement ; ils étudient toutes les propositions en vue d'une future prise de contact avec Grott.

– Tss ! Quel accord ? Il n'est pas question d'accord ici ! Les accords ont déjà été signés il y a des années. J'ai dit que je refusais les concessions.

– Par exemple, les Allemands accepteraient de retirer leur proposition, à l'amicale, sans même référer de cet incident aux Français ou aux Hongrois, contre une terre... une enclave.

– Une enclave ? Mais il leur a complètement monté à la tête ! Pour qui se prennent-ils ? C'est vraiment la goutte d'eau qui fait déborder le verre. Je briserai tous les doigts de ce Grott, c'est moi qui vous le dit, Varvadon.

Le Chancelier s'épongea le front tout en s'inclinant devant le titanesque trône de S. M., la reine Toute-Puissante. Il tenta un sourire nerveux avant de revenir à son expression de sérieux habituelle.

– Veuillez me pardonner pour cette ridicule proposition. Nos diplomates en ont trouvé une dernière.

– Laquelle ? Je vous préviens que je ne suis pas d'humeur ; j'en ai bien assez entendu.

– Je suis désolé, mais c'est une affaire urgente. Tous attendent votre réponse pour régler ceci par la pais.

– Si c'est urgent, activez donc.

– Eh bien, les Allemands accepteraient volontiers une part de, ou du moins une dépendance sur Sorrowbridge Island...

– Vraiment ? Ils veulent envahir le joyau de l'Angleterre, ternir le paradis sur Terre ? Mais bien sûr, c'est tout naturel... Qui a fait cette excellente proposition ?

– Les Allemands, ainsi que le Diplomate Georg Huver.

– Qu'est-ce que cette histoire ? Il y a au sein de ce palais des ignares qui pensent envisageable de céder la retraite royale ? Annoncez à ce Huver sa destitution immédiate. Que lui ferons-nous donc ? Je pourrais commencer par le jeter dans mes prisons locales... Ou plutôt, j'ai une meilleure idée. Envoyez-le sans escorte en Allemagne sur-le-champ annoncer au Allemands d'aller se faire voir. Qu'ils se terrent bien au fond de leur sale pays en implorant mon pardon. Autrement, ma colère risque de se déchaîner sur leurs misérables têtes. Assurez-vous simplement qu'il ait une garde poru le forcer à appliquer mes ordres à la lettre. J'ai dit. Sortez et exécution.

– Bien, Majesté. La parole de S. M. sera respectée.

***

Varvadon arpenta à nouveau les immenses couloirs du palais jusqu'à la salle d'intercommunication. Là, une petite dizaine de diplomates était assise çà et là sur des gradins disposés en demi-cercle, s'affairant en face d'un écran concave de cinq mètres de haut. On y voyait projeté le Chancelier Grott, assis sur son trône. Une console truffée de boutons et de cadrans contrôlait le tout.

– Un honneur, Chancelier, salua à demi Varvaddon en s'approchant de la console. Nous vous recontacterons en personne en envoyant une délégation auprès de votre cours. Au revoir.

Il pressa fermement un bouton rouge et l'image disparut.

– Que signifie... ? commença le Diplomate Huver, qui gérait principalement la discussion, en plissant le nez.

– S. M. a ordonné votre emprisonnement, alors si j'étais vous, je me tairais.

L'effet fut immédiat. L'interpellé pâlit, se décomposa et passa par toutes les expressions de l'incompréhension la plus totale.

– ...mais, dans son extrême bonté, elle a changé d'avis.

– Vous ne pouviez pas le dire plutôt ? aboya le diplomate avec un manque de respect flagrant.

Charmant, songea le Chancelier. En voilà un qui n'aura pas ma pitié.

– A la place, vous irez sans garde personnelle en Allemagne, annoncer au Chancelier Grott que toutes les propositions sont catégoriquement refusées, et qu'il ferait mieux de se terrer comme un rat au fond de son trou, sans quoi S. M. va lui pleuvoir dessus. La reine a parlé ; vous partez ce soir ! Cela vous laisse quelques heures pour préparer vos bagages et pleurer votre vieille mère. Au revoir, ou plutôt, adieu, car je ne donne pas cher de votre peau.

Ainsi, deux heures et demie plus tard, Huver montait dans une calèche express, une malle empaquetée à la va-vite et un porte-documents comme seule compagnie, et quelques soldats bien armés pour s'assurer qu'il serait bien sage.

Que pensez-vous de toute cette histoire ?

---Merci spécial à jexxne_axdn pour son super soutien x)---


Les Gardiens de l'Œil (Les XXIs, livre II)Where stories live. Discover now