Chapitre V

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V

Les Fuyards était d'ores et déjà de retour à proximité du Bagne ; ils s'était assis dans la clairière de la première nuit, qui s'était déroulée un peu plus d'un mois auparavant. Örka, pleine de regrets et d'amère tristesses à l'idée qu'elle ne croiserait peut-être plus jamais Hannah, s'appuya contre un arbre. Maïke, quant à lui, avait instinctivement retrouvé sa place première, et s'était perché sur le rocher central. Ils avaient provisoirement caché leur quelques affaires sous des brindilles en prévision de leur nouvelle sortie.

– Êtes-vous prêts à enfin rentrer dans le feu de l'action ? Nous allons leur montrer qui nous sommes, et de quel sang nous sommes faits ! Bientôt notre nom sera connu, et notre réputation nous précédera comme un feu ravageur !

– Nous sommes les Fuyards ! s'écrièrent furieusement ses compagnons, qu'il parvenait toujours en enivrer de belles paroles.

– En avant ! leur répondit-il, fendant l'air de son poing vigoureux, et sans remarquer qu'Örka n'avait pas ouvert la bouche.

– Suivez-moi.

Ils s'enfoncèrent dans les sous-bois touffus, passant à quelques kilomètres du Bagne, qu'on distinguait vaguement entre les arbres, encaissé comme il était au milieu de plaines montantes. La nuit commençait à tomber. Ils avancèrent jusqu'à sortir du premier bois ; ils se retrouvèrent alors en rase campagne. L'orée du second bois n'était qu'à une cinquantaine de mètres, il faisait sombre, mais il était très probable que des guetteurs étaient perchés sur le chemin de ronde de la prison, et ils ne voulaient prendre aucun risque.

–A terre ! siffla Maïke.

Ils entreprirent de ramper sur le sol glacé jusqu'au deuxième bois – qui, comme Maïke l'avait repéré, n'était plus que trois couronnes boisées et puis une large clairière avec un épais bâtiment, presque semblable à un grand bunker, au centre.

– Admirez notre travail, Fuyards, leur chuchota-t-il, et soyez-en fiers : aujourd'hui, il nous sauvera de la misère. Mort à S. M., l'OEil vivra !

Pendant le temps d'immobilité qui avait suivi leur évasion, ils avaient pu s'informer sur le régime en place et les coutumes, pour enfin connaître cette main tyrannique qui les avait menés à endurer toutes ces souffrances, aussi bien physiques que psychologiques. Ils savaient que tous leurs malheurs, à commencer par la mort de leurs parents, avaient découlé directement de la main royale – et désormais, ils souhaitaient sa perte tout autant que leur gloire personnelle.

Maïke se leva, piqua sur le côté et se mit à courir. Ses compagnons ne le quittaient pas des yeux. Il se plaqua contre le mur droit du bâtiment, un peu au-delà de l'entrée. Il saisit fermement le fusil de chasse qu'il avait volé durant leur évasion, et l'arma.

Bert patrouillait sur le toit, mais le bâtiment n'étant pas très haut, il n'avait rien vu, d'autant plus qu'il avait assez bien mangé et que la noirceur du soir ne permettait pas de distinguer grand-chose. Maïke recula et mit le gardien dans sa ligne de tir. Ce dernier vit un scintillement – le reflet d'un reste de soleil couchant sur le canon sur l'arme – et plissa les yeux avec son habituel air stupide. Le coup partit, lui traversant la cage thoracique. Il lança un cri étouffé par son propre sang qui lui remontait à la gorge avant de tomber en arrière. Le chef des Fuyards leur fit un signe ; en un instant ils étaient tous réunis à l'arrière du Trésor Royal.

– Il va falloir qu'on entre fissa, et sans rameuter personne

Il y eut un silence ; tous étaient persuadés qu'il avait déjà un plan. Il fallait bien croire que tous les plans de Maïke se résumaient à un objectif et de l'improvisation.

Les Gardiens de l'Œil (Les XXIs, livre II)Where stories live. Discover now