Chapitre XXIX

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XXIX

Une paire de main qui l'empoigna par la col. Une secousse violente. L'espace qui trembla. Et puis l'habituel espèce de blanc dépourvu de couleur, si fade et si... troublant. Hannah préférait ses rêves, même ses cauchemars ; là, elle voyait parfois, et elle n'était pas constamment plongeant dans un environnement où tout lui était inconnu.

– Debout ! lui ordonna Dietr. On a pas que ça à faire. C'est aujourd'hui qu'on se met en chasse. Et on t'aura à l'œil, la XXI. Pas d'entourloupe, on a été entraînés spécialement pour des cas comme ça. D'ailleurs, les renforts nous ont rejoints pendant la nuit, donc si on retrouve tes compatriotes – ce que j'espère bien pour toi –, on sera en supériorité numérique. T'as pas intérêt à tenter quoi que ce soit. T'es foutue, de toutes façons, alors fais-toi une raison. Même si tu les ramènes au Palais, y a de fortes chances que Sa Majesté te fouette jusqu'à ce que tu tombes, à demi morte, étalée sur le sol dans une flaque de ton propre sang... Oh, désolé, je ne voulais pas te démoraliser. Vois ça comme ta dernière chance de prouver ta valeur et accepte ton destin la tête haute. S. M. est à ce jour la seule femme pour laquelle j'ai du respect ; presque la seule personne, en fait. Il est peut-être pas trop tard pour faire remonter un peu mon opinion sur les gens de ton espèce. Les hommes, je leur crache dessus ; je n'en suis plus un, j'appartiens à ma reine. Les femmes... vaut peut-être mieux pas te dire ce que j'en fais, je suppose. Mais quand il y en a quelques-unes qui posent problème, je les prends et je les découpe en petits morceaux. Ça laisse des traces, certes, mais c'est à peu près propre. Tout dépend du point de vue. En tous cas, j'ai beau ne pas croire en grand-chose, je peux te dire ça : le sens du devoir, c'est essentiel. Au moment où tu comprends ce que l'existence a choisi pour toi, tu dois l'accomplir avec toute la force et toute l'ardeur qu'il te reste. Même si c'est pas ce dont t'a rêvé ; de toutes façons, t'as plus le choix, alors au temps exister pleinement, dévorer avec toutes tes dents. Y a un destin au-dessus de nos têtes, et ça sert à rien de s'y opposer. Il faut l'assumer aussi pleinement que si c'était notre propre idée.

Dietr sourit un peu ; Hannah s'était levée, et même si elle n'en avait pas l'air, elle l'écoutait avec une grande attention. Sans s'en rendre compte, cet Homme en Violet avait trouvé l'une des grandes vérités d'Haars Besoor, et par ce simple fait, il avait beaucoup plus d'importance qu'il ne le réalisait.

***

Une demi-heure plus tard, ils avaient mangé sur le pouce et étaient sortis de l'auberge avec tous leurs comptes payés. Les carrioles aux bâches à demi ouvertes les attendaient dehors.

Blacksmith Bridge fut vite traversée, et, en continuant par le pont principal, ils suivirent les sinuosités du ruisseau qui circulait à travers les champs secs. Tout était fade et morne en dehors de cette eau claire ; en un sens, c'était dans la nature humaine de suivre cette onde qui apparaissait comme porteuse d'espoir au milieu du désespoir hivernal.

– Alors ? la secoua Dietr tandis que les véhicules ralentissaient un peu pour considérer leur position. Par où ?

Hannah ne répondit que par un vague grognement.

– Par où ? répéta-t-il, en hurlant cette fois.

– Laissez-moi... me concentrer... juste un peu...

Une vague de sensations l'envahissait ; elle était à bout.

– Je te rappelle qu'on est pressés et j'en profite pour te prévenir que je ne suis pas patient. Je suis plus du genre « une minute d'attente, un os brisé » si tu vois ce que je veux dire.

Hannah ne répondit pas ; elle s'accroupit, un violent mal de tête lui traversant le crâne.

Elle voyait... oui, elle distinguait le bois... Elle le visualisait à peu près... elle entendait les directions pour y aller, et en même temps la voix était étouffée par le vent... Ils était à l'intérieur du bois... Tous proches... en se concentrant, elle devait pouvoir les voir.

Les Gardiens de l'Œil (Les XXIs, livre II)Where stories live. Discover now