Chapitre XXXIX

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 XXXIX

S. M. était acclamée par la foule de tous les côtés. Elle se tenait fièrement debout sur un char orné de dorures et tiré par six chevaux hybrides haut de gamme à la robe d'un blanc immaculé. Sa robe pourpre, soutenue par une armature de fer, ornée de rouge flamboyant et d'orange et terminée par une longue traîne à la coupe sinueuse et magistrale, semblait en feu. Une haute collerette de plumes encadrait son visage sur lequel tombait une pluie de confettis aux reflets irisés, dons de son peuple en liesse. Son habituelle tiare incrustée de rubis avait été remplacée par des lauriers en or, et ses cheveux étaient tressés de perles nacrées. Sous l'euphorie générale, elle descendit du cortège sur le tapis rouge conduisant à la Cathédrale de la Rose afin de monter au grand balcon. Son discours avait été peaufiné avec les plus grands soins et une bonne dizaine de micros attendaient l'annonce officielle de l'ajout de la Hongrie comme enclave de l'empire britannique. Des généraux s'étaient déjà établis sur place, et bientôt un gouverneur serait nommé – ç'aurait pu être là une belle promotion pour Varvadon si elle avait pu sans séparer. Malheureusement – ou heureusement, qui sait ? – pour lui, elle tenait trop à lui. Il la quitterait seulement pour son tombeau.

Viola s'abreuvait des louanges de la foule. Elle se sentait pleine, et suprêmement puissante. Désormais, tout lui était possible. Ces cris sincères, ces chapeaux qui volaient en l'air, ces fleurs qu'on lui jetait aux pieds, ces enfants souriants qu'on hissait au-dessus de la marée humaine – au final, ils luis importaient une satisfaction, un bonheur même, plus intense encore que lorsqu'elle pouvait torturer jusqu'à la mort un opposant un peu trop farouche.

Elle gravit les marches une à une, avec une lenteur qui montrait le délice qu'elle avait à se sentir aimée, légitimée et acclamée. L'immense rosace inondait l'intérieur de la cathédrale de sa lumière richement colorée. Traversant l'allée jusque devant le chœur, elle tourna à droite pour gravir l'étroit escalier en colimaçon. Enfin, elle arriva sur le balcon surplombant la foule à laquelle elle tendit les deux bras.

– Mes fiers sujets, Ô noble peuple anglais, le plus brave et le plus digne de tous ceux qui aient jamais été ! Aujourd'hui marque un nouveau tournant dans l'histoire de notre puissance. Aujourd'hui est la preuve de notre suprématie sur le monde ! Riez, criez, chantez, célébrez votre reine comme tous ceux que vous aimez ! Aujourd'hui est jour de fête et de bonheur ! Montez tous à bord du char céleste qui nous conduira à la victoire et à la domination ! Vos enfants connaîtront l'Angleterre comme le sommet de la planète, et la plus belle des contrées de notre terre.

***

– Votre Majesté ? s'enquit un majordome tout en se glissant précautionneusement dans l'embrasure de la porte, où il s'inclina. Désirez-vous vous réunir avec le Conseil ?

– Mmm... Annoncez et prévoyez une réunion dans une demi-heure. D'abord avec ces dames, puis avec ces messieurs.

– Bien.

Il s'inclina une seconde puis sortit en claquant des talons. S. M., promenant distraitement son stylo au bas de la feuille sur laquelle était penchée, pressa de son autre main un bouton au bas d'un des murs à côté de son siège tout en effleurant machinalement le papier peint crème gaufré de motifs floraux ocre. Puis elle se passa une main sur les yeux, soupira, et sortit de son bureau de fonction pour regagner ses appartements. Là elle passa l'antichambre et la bibliothèque bleue pour finalement entrer dans sa chambre. Elle ne l'utilisait que très peu ; elle avait pour habitude de dormir dans la grande chambre royale du second. Elle n'aimait pas trop l'ambiance privée de ses quartiers ; elle préférait occupait des espaces plus étendus et plus éloignés les uns des autres, pour profiter tout à fait de ce sublime palais qu'elle avait agrandir et embellir. Elle brossa du bout des doigts l'un des nombreux fauteuils assortis aux tentures du lit à baldaquin en acajou avant de s'effondrer sur ce dernier, enfonçant son dos dans l'épaisse et moelleuse couche des draps.

Les Gardiens de l'Œil (Les XXIs, livre II)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant