Chapitre II

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II

– Embrasse-moi, implora Örka d'une voix emplie d'amour, ses belles paupières ambrées frangées de cils aussi courbés que sublimes à demi-closes et ses joues rougies autant par la basse température ambiante que par le désir.

Maïke se pencha vers elle avec un petit sourire fier qui le rendait encore plus ravageur que d'habitude.

– Encore ? souffla-t-il au creux de son oreille.

Sa petite amie se mordit la lèvre de frustration.

– Toujours, répondit-elle avec un air de défi.

– C'est à moi de mordre cette lèvre, tu le sais bien.

Il s'approcha encore, réduisant l'espace entre leur deux bouches brûlantes à quelques centimètres. Il était si proche... Le cœur d'Örka menaçait d'éclater dans sa poitrine. Il posa lentement ses lèvres contre les siennes, laissa leur souffle s'échanger, et puis la dévora. Il se plaqua presque sauvagement contre elle, entoura son visage de ses mains, emporta sa langue dans une danse fébrile et passionnée qu'elle prolongea. Puis il glissa lentement et mordilla la lèvre inférieure de sa partenaire, avant de rabattre sur son cou, qu'il lécha amoureusement. Il respira l'air de sa nuque ; elle rit, il l'embrassa à nouveau. Cette fois, ils prirent plus leur temps, approfondirent, découvrir chacun de nouveaux recoins qu'ils n'avaient pas encore explorés. D'un même mouvement, ils s'écartèrent doucement sans se quitter des yeux.

– Mon Élu... murmura-t-elle en lui caressant les cheveux.
– Mon Ève... répondit-il en lui plantant un baiser sur la joue.

Il se leva ; elle fit de même, et ils sortirent main dans la main, embrassant leur campement du regard. Les quatre cabanes de bois sec, de vieux tissu, de branches et de feuilles mortes qui le constituaient se dressaient au milieu d'une clairière isolée du monde et étrangement paisible. L'écorce des hauts arbres tombaient à demi , les brindilles étaient sèches, l'air froid et piquant, le givre recouvrait partiellement le sol et une rivière gelée parcourait les champs déserts non loin de là.

– Fuyards ! tonna Maïke, et sa voix traversa le vent glacé comme le hurlement d'un loup.

Et cette appel ne resta pas longtemps sans réponse. Ses douze compagnons, sortant de leur habitation, l'encerclèrent.

– Nous avons passé le plus froid de l'hiver ; nous nous sommes tassés à l'écart et reposés. Il est temps de partir. Nous allons maintenant réaliser la Prophétie. Nous sommes en l'an dit, j'en ai la certitude ; et la lune de saur saür est proche ! Tenez-vous prêts ! Nous aurons bientôt un campement définitif, faites-moi confiance. Seule une ombre défie notre gloire : nous n'avons plus d'argent. Ce ne serait pas encore trop grave, mais pourquoi se priver quand, de doutes façons, j'ai une solution ? On va se plaisir en s'en mettant plein les poches. Et vous savez le plus délicieux ? Ce sera sur le dos de cette satanée S. M. ! Ça lui donnera un avant-goût de notre vengeance. Vous vous souvenez du bâtiment qu'on a construit de nos propres mains au Bagne, sous le soleil comme la pluie, parfois sans avoir mangé, et presque sans repos ? On a trimé comme des bêtes, ça nous donne des droits, pas vrai ? Bref, sans plus attendre, on plie tout et on y va. En plus, y a des chances qu'on croise de bons vieux camarades. Monsieur Rosskov, ça vous dit quelque chose ?

***

Dix minutes plus tard, Örka et Maïke se retrouvaient dans leur tente. Ils n'avaient absolument pas discuté de cette décision auparavant et Örka tombait des nues plus qu'aucun autre dans le camp ; avant toute chose, elle voulait comprendre les raisons de ce départ.

– On va vraiment partir ? s'enquit-elle, l'air presque désespéré. Mais... et Hannah ?
– Tant pis pour elle. On lui a largement laissé le temps. Ça fait un mois, et elle n'est pas venue. Meerk et moi, nous avons pris notre décision. Maintenant, va préparer tes affaires.

– C'est ça, lui, tu le demandes son avis. Ce n'est même plus des "j'ai décidé", c'est "nous avons pris notre décision". Et moi, je ne sers à rien. C'était un traître au départ, je te rappelle.

– Oui, au départ. Mais je l'ai éclairé, et je sais que désormais, il m'est bien plus fidèle qu'aucun autre. Et bien sûr que non, tu ne me sers pas à rien. Tu es la meilleure des diplomates ; tu sais accorder les esprits les plus farouches entre eux. Un médiateur-né. Tout le monde t'aime bien. Nous aurons bientôt besoin de toi.

– "Nous" ou "je" ?

– Les deux. Je ne peux pas me passer de toi, Örka.

Il l'attira contre lui, enfouissant son menton dans sa nuque, puis lui déposa un léger baiser sur les lèvres.

– Je ne pourrai jamais me passer de toi non plus, lui souffla-t-elle. Bon, je vais démonter la cabane et emporter ce qui peut l'être.

Elle sortit, le doute lui assombrissant encore le cœur. Comment savoir si Maïke ne la manipulait pas ?

Non, pensa-t-elle, non, il m'aime autant que je l'aime, non...

Et pourtant, elle se sentait trahie. Elle ressentait comme un vide intérieur qu'elle ne pouvait combler.

***

Les Fuyards mangèrent de la bouillie de céréales pour se donner du courage et reprendre des forces avant leur périple – qui d'ailleurs s'annonçait assez longs. Ils achevèrent ensuite de détacher tous les pieux de bois qu'ils avaient enfoncer dans le sol, et de jeter les toitures de feuilles mortes, pour effacer au mieux les traces de leur passage. Ils ne tenaient surtout pas à ce que l'on puisse les pister ; ils voulaient avant tout être invisibles. Ils entreprirent ensuite de récupérer tous les tissus qu'ils possédaient et les tressages qu'ils avaient réalisés afin de ne pas mettre trop longtemps à s'établir dans un nouvel endroit. Ils plièrent toutes ces affaires du mieux qu'il purent et les attachèrent sur leur dos grâce à des cordages. Une autre partie fut rangée dans quelques sacoches qu'ils avaient pu acheter avec le peu d'argent qu'ils possédaient.

– En avant ! lança énergiquement Maïke à l'ensemble du groupe. Direction : le Bagne, et que rien ne nous arrête.

Les autres clamèrent son nom pour le mettre de bonne humeur, et surtout parce qu'ils étaient ravis d'entreprendre quelque chose de nouveau. La perspective d'une vie meilleure les réjouissait amplement, et l'idée de la gloire possible de leur chef grâce à la prophétie les revigorait tout autant. Maïke prit la tête d'instinct – d'ailleurs, personne d'autre n'aurait pu prétendre à cette position –, et fut dont le premier à quitter la clairière. Il prit une grande goulée d'air frais afin de se motiver une fois de plus pour la route à venir, et fit trois grands pas avant de se retourner pour vérifier presque paternellement que toute sa troupe le suivait bien.

N'hésitez pas à me laisser un petit commentaire... et à très vite bien sûr !


Les Gardiens de l'Œil (Les XXIs, livre II)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant