Chapitre XXXIII

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 XXXIII

Le majordome, après avoir frappé pour la forme, ouvrit les massives portes de bois de la chambre d'invités.

– Votre Majesté, Mademoiselle, si vous voulez bien me suivre. Sa Très Haute Majesté le Dragon vous attend dans la salle à manger pour partager avec vous le repas organisé en votre honneur.

Il s'inclina bien trop peu bas au goût de S. M. et leur désigna le couloir de son bras tendu.

La reine sortit, sa servante marchant un peu en retrait comme si elle cherchait à marcher dans l'ombre de sa souveraine. La fameuse robe royale qu'elle avait confectionnée était sublimement luxueuse, faite de velours noir et rouge à lourds plis, brodée de lys dorés et encadrée d'hermine. Une tiare d'or incrustée de rubis retenait les cheveux couleur sable de S. M., coiffés en d'élégantes anglaises où pendaient des perles.

Ils traversèrent les couloirs aux murs de pierres et au sol recouvert d'épaisses étoffes, Viola perchée sur des talons ouvragés et Jess marchant sur des chaussons de soie. A mi-chemin, Lady Charley-Kist, ses cheveux blond couleur or bouclés et coiffés en deux macarons, et la Vicomtesse de Derby, deux fines tresses attachées ensemble retenant sa soyeuse chevelure d'un marron intense, les rejoignirent, portant des robes à manches bouffantes, avec cerceaux et volants, la première crème à bords rose pâle et la seconde émeraude et lignée de blanc.

– Ma Reine, s'inclinèrent-elles dans une révérence gracieuse avec une synchronisation parfaite.

Quand Rosie releva la tête, elle croisa le regard dur de S. M. Un imperceptible mouvement des lèvres, et la souveraine sut que le guêpier était en place. Tout se jouerait bientôt. Ils continuèrent donc leur chemin vers la salle à manger d'apparat, les deux dames de compagnie encadrant la souveraine tout en se tenant légèrement en retrait.

Le domestique s'arrêta devant deux lourds battants de chêne sur lesquels étaient gravés des scènes de combats épiques et antiques – Radggof y était le plus grands de tous les personnages et arborait une épée démesurément massive.

Le majordome claqua des talons et poussa la porte.

Le Dragon était assis sur un trône à pointes métalliques devant une table circulaire. Il portait une robe de cérémonie noire brodée d'un dragon jaune et son habituel lourd pendentif d'or était suspendu à son cou. Il y était accoudé avec un franc manque de majesté, presque comme s'il était bossu, et dès qu'il vit les nouvelles venues, il sourit de ses dents un peu trop aiguës. Cependant cette atroce mimique avait l'étrange particularité de le rajeunir un peu ; et les flétrissures de sa peau jaunâtre étaient moins visibles. En comparaison, les sévères rides qui bordaient le coin des yeux de Viola étaient inexistants, et le souverain hongrois était encore perdant quant à la quantité de cheveux gris.

S. M. perçut un léger mouvement des tapisseries devant elle ; du coin de l'œil, elle crut en discerner derrière elle également. Son regard était de pierre et son visage affable.

– Chère Viola... la salua Radggof.

Il lui désigna un siège à la large table ronde à nappe blanche. Le majordome s'empressa de tirer la chaise.

Tout se passa en un éclair. Tant que le pauvre serviteur était encore légèrement penché, la reine le frappa à la gorge avec la tranche de sa main et une force exceptionnelle. Il tomba au sol et elle pressa son talon sur sa poitrine. En même temps, Zven et Yenard sortaient de derrière les tapisserie pour se précipiter sur les deux soldats hongrois qui étaient sortis de derrière les leurs – il semblait que les deux souverains aient eu la même idée, cependant les Anglais avaient été plus rapides. Un autre garde d'apparat brandit sa hallebarde, mais trop tard – Jess, en un instant, avait saisit la dague qui reposait le long de sa cuisse, l'avait saisie fermement, et en un habile saut sur la table suivi d'une culbute, elle se retrouva dernière le trône, sa lame pressant contre la gorge du Dragon, ridiculement impuissant. Elle entraînée spécialement pour intégrer des services secrets, et cet atout en était pour beaucoup dans les faveurs que lui accordait S. M.

Les Gardiens de l'Œil (Les XXIs, livre II)Where stories live. Discover now