Chapitre XLVI

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XLVI

A onze heures trente, la Reine se tenait avec grâce sur son trône de la grande salle d'audience, toute vêtue de pourpre, d'or et d'hermine. Elle passait ses doigts le long de son sceptre en attendant le messager qui ne devait plus tarder à arriver. Varvadon se tenait légèrement en retrait, droit comme i à la droite du siège royal. Il avait du courage, à son âge, pour se tenir encore constamment debout aux côtés de sa souveraine. Mais il n'aurait quitté sa fonction pour rien au monde, et certainement pas pour quelques raideurs dans les pieds.

Le silence était total quand on entendit courir à travers les couloirs.

– Votre Majesté ! s'écria un majordome en ouvrant les doubles portes.

La salle était si grande qu'il apparaissait comme une silhouette au fond.

– Les nouvelles sont là ! hurla-t-il pour être sûr d'être entendu.

Il laissa entrer un homme essoufflé, vêtu d'une combinaison à poches beiges et de bottes en cuir. Il portait encore son casque de pilote sous le bras. Il marcha rapidement jusqu'à quelques mètres devant le trône et s'inclina, un genou au sol.

– Le second avion qui devait couvrir ma retraite a été abattu, Votre Majesté. Néanmoins, cet accident n'est en rien représentatif de la situation en Allemagne. Tout comme vous l'aviez prédit, nous les avons pris par surprise. La ville est en feu, le peuple est à sang, et nous leur avons infligé de sérieux dégâts, mais leur réplique est coriace. Si les renforts arrivent bientôt, nous pourrons espérer prendre la capitale ; mais la vitesse est essentielle. Ils s'organisent de mieux en mieux avec les heures qui passent.

– Mmm. Je vois. Il faudrait ordonner un premier repli. Beaucoup d'avions ont-il été touchés ?

– Oui, tout de même. Il serait sage de joindre aux renforts un nouveau flot d'escadrilles.

– Bon, très bien. Varvadon, faites passer le message. Activez l'envoi de nouvelles troupes, recontactez les Français et les généraux de Hongrie, et lancez l'ordre de repli. Si les soldats se replient tout à fait avant l'arrivée des renforts, nous pouvons les reprendre par surprise – ils croiront que nous abandonnons quand nous laissons seulement la place à une nouvelle vague de troupes fraîches. Mais nous courrons alors le risque qu'ils nous poursuivent pour nous exterminer.

Elle réfléchit un instant.

– Je pense que j'ai déjà risqué beaucoup, surtout aux yeux du Conseil. Nous allons jouer la carte de la sécurité. Allez, Chancelier.

Il s'exécuta et sortit en trombe. L'aviateur était toujours agenouillé au sol, tête baissée.

– Vous avez bien servi votre Nation, déclara solennellement la Reine. Je vous nomme sergent de seconde classe, soldat...

– Bottkins. C'est un immense honneur que de pouvoir vous servir, Votre Majesté. Je retourne me battre avec la certitude de notre victoire future, c'est pourquoi si je viens à être abattu, je serai fier d'être mort pour mon pays, pour la terre sacrée, pour l'Angleterre. Gloire éternelle à vous, Votre Majesté.

– Vous êtes un bon défenseur de notre patrie. Je suis contente de vous. Vous pouvez disposer, Sergent Bottkins. La nation victorieuse vous attend à la sortie du combat.

Il se redressa sans pour autant relever la tête, claqua des talons, et sortit. Une fois en dehors de la salle, il soupira. Malgré toutes les résolutions de son cœur, il avait peur, terriblement peur. Il fallait qu'il s'accroche à sa fierté nationale, à son idéologie fermement ancrée, pour ne pas vaciller et s'effondrer.

Les Gardiens de l'Œil (Les XXIs, livre II)Where stories live. Discover now