Chapitre VI

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VI

– Votre Majesté ! Votre Majesté ! Mais où reste donc S. M. ? s'égosillait Varvadon, les cheveux encore hérissés de frayeur, et arpentant une nouvelle fois les couloirs de Buckinghamsplace Palace – mais cette fois, la reine suprême semblait véritablement introuvable. Quoi qu'il en soit, on ne se rendait pas assez compte du côté physique de la position de Varvadon, qu'il était peut-être d'ores et déjà un peu trop âgé pour exercer.

Le diplomate Huver était parti depuis une semaine, et on n'avait pas de nouvelles ; S. M. disait s'occuper d'autres problèmes, mais après des années à ses côtés, le Chancelier la connaissait assez pour savoir qu'en dépit des apparences, elle s'inquiétait beaucoup de toute cette histoire de Grott. Et justement, il venait de recevoir un colis en express d'Allemagne. Son urgence première était donc de faire part de son contenu à sa reine.

Georgia, la première coiffeuse de S. M., aux cheveux encore très sombres malgré l'approche de ses cinquante ans, tourna à l'angle du couloir où allait justement le Chancelier du plus vite que ses soixante-neuf kilos couplés à ses talons de huit centimètres le lui permettait.

– Hhh... Monsieur Varvaddon... Vous tombez bien... hhh...

– Oui, Georgia ?

A l'expression d'impatience que le Chancelier affichait si clairement, elle devina qu'il cherchait la reine pour une urgence.

– Elle ne vous a pas dit ? s'enquit-elle enfin.

– Qui donc ? Quoi donc ?

– S. M. ... Elle est partie en dernière minute pour Sorrowbridge Island. C'est les petites assistantes qui lui ont fait ses malles, vous pensez bien ! A peine si on m'a prévenue. Oh, et – mon Dieu ! Elle a emporté la petite Jessie ! Elle n'a pas voulu de moi, Monsieur Varvadon !

– Voyons, Georgia... Ne pleurez pas, vous aller faire couler votre fond de teint.

Il avait la décence de faire semblant de ne pas remarquer que son mascara, lui, avait déjà coulé.

– Je... Je ne suis pas à la hauteur, enfin, plus, Monsieur Varvadon. J'ai parfois les mains qui tremblent... L'autre jour, j'ai trop serré son chignon, et puis il y a eu cet épi... Oh, oui, je me fais vieille... Mais jamais je n'ai failli à lui enfiler correctement ses chaussures, je vous le jure, Monsieur Varvadon !

– Je vous crois Georgia, je vous crois.

– Quand elle aura décidé de me remplacer par cette Jessie définitivement, que deviendrai-je ? Je me retrouverai seule, dans un horrible pensionnat qui ressemblera à une prison ? Ou alors, elle me renverra le jour où je ferai une vrai erreur – et là, qu'y aura-t-il pour moi ? Un vrai prison ? Un échafaud ? Oh ! Mais comprenez donc ma douleur, Monsieur Varvadon ! Même si je ne corresponds plus à ses attentes, c'est toujours moi qui la connais le mieux. Je suis avec elle depuis si longtemps... Je suis sûre que c'est pareil pour vous, alors vous devez comprendre à quel point je l'adore, Monsieur Varvadon ! Et même si elle ne nous le montre pas comme le feraient d'autres, je suis sûre qu'au fond, elle nous apprécie quand même un peu... Vous ne croyez pas ?

– Voyons, Georgia... répondit-il simplement en lui tapotant le dos. Vous déraisonnez... Profitez de son départ pour prendre un peu de repos et rentrez dans vos appartements.

– Oui, Monsieur Varvaddon. Excusez-moi de vous avoir fait perdre votre temps.

Elle sortit un mouchoir de baptiste d'une poche masquée de sa robe noire à col de dentelle et s'essuya les yeux.

– Mais non, mais non, allez.

***

Le Chancelier entra le code de déverrouillage de la salle d'intercommunication. Immédiatement, les deux panneaux beiges coulissèrent silencieusement. A l'intérieur, trois diplomates en longues robes écru discutaient, le front soucieux, tandis qu'un assistant communication s'affairait sur le plateau de contrôle. Varvadon s'avança jusqu'au siège central, qui était surélevé et de meilleure qualité que les bancs en demi-cercle du reste de l'assemblée, et s'y assis. Il rectifia son pendentif-fermoir en or lissa les plis de sa longue robe pourpre.

Les Gardiens de l'Œil (Les XXIs, livre II)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant