Chapitre XXXVI

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XXXVI

Une épaule l'effleura.

En un instant, elle se raidit, glissant le couteau dans sa manche. Elle n'osait plus bouger ; elle n'osait plus respirer. Il y avait quelqu'un, là, en face d'elle. Quelqu'un qui devinait peut-être ses intentions.

– Je l'ai vu.

Un frisson parcourut l'échine d'Hannah au son de la voix si froide de Winter.

– Je... j'ai...

– Pas besoin d'inventer n'importe quoi. Je n'aime pas qu'on me mente, et encore mois qu'on me prenne pour une imbécile. Je n'arrivais pas à te cerner – mais maintenant, j'ai compris. Oh, je comprends si bien. Tu ne peux pas savoir à quel point je te comprends.

Hannah était toujours immobile et silencieuse.

– Je ne vais pas finir par croire que tu es morte sur place, tu sais. Enfin, si tu m'y obliges, bien que je n'en ai pas vraiment envie, je veux bien te tuer. Maïke serait content. Très content.

– Qu'est-ce que tu cherches ? coupa brusquement l'interpellée d'un ton agressif.

Winter lui répondit en la plaquant contre les planches d'une des murs du baraquement d'un grand mouvement du coude avant de lui presser une dague contre la gorge.

– Tu es trop méfiante, Hannah. Ce monde est peut-être une jungle, mais on n'y survit pas seul. Tu n'es pas du type loup solitaire – avoir quelques alliés ne te ferait pas de mal. Si tu continues à repousser tout le monde, tu vas crever, tout simplement. Et ce n'est pas ce à quoi tu es destinée.

L'interpellée ne répondit pas ; Winter la relâcha.

– Je comprends ce que tu vis. Même eux, qui sont censés être tes camarades, et qui partagent ta destinée, ne peuvent pas comprendre complètement. Ils n'ont pas la capacité de se souvenir de toutes les horreurs qu'ils ont subies, ils n'en auraient pas la force – et surtout, ils n'ont pas été blessés comme toi. Toi seule connaît parfaitement ton passé, toi seule a été brisée de l'intérieur, toi seule a dû vivre et être forte quand tu aurais voulu mourir. Moi aussi, j'ai vécu cela, j'ai ressenti la même chose. Ta soif de vengeance te consume et ne saurait être assouvie que par toi, tes instincts te poussent à te refermer sur toi-même, à haïr et à tuer quand tu pourrais faire confiance, voire même aimer.

Elle saisit le couteau dans la manche d'Hannah et le plaça fermement dans la paume de cette dernière.

– Va, murmura-t-elle. Je sais que rien ne te fera renoncer, tu as besoin de faire ce que tu t'apprêtes à faire. Mais si un camarade vaillant ou cher à nos cœurs meurt par ta faute, n'espère aucune pitié de ma part. On récolte ce que l'on sème.

Hannah esquissa une sorte de demi-sourire.

– Je n'ai besoin de la pitié de personne.

Winter partit vers les baraquements d'en face tandis qu'Hannah poussait la porte de la cabane la plus proche.

Un rayon de faible lumière partait d'une petite lucarne au croisement du mur et du plafond. Deux lits superposés, deux tables de chevet et une armoire commune composaient le mobilier. Hannah referma le battant avec beaucoup de soin une fois qu'elle fut entrée ; tout le monde à l'intérieur dormait.

Elle sembla réaliser soudainement ce qu'elle s'apprêtait à faire. Il lui semblait qu'elle n'y arriverait jamais. Comment diable savoir qui était qui ? Son instinct la conduit vers la couche du bas du lit de gauche. En tâtonnant sur la table de chevet attenante, elle palpa une paire de petites lunettes rectangulaires. Elle savait.

Les Gardiens de l'Œil (Les XXIs, livre II)Where stories live. Discover now