Chapitre XXVII

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XXVII

Hannah et son escorte s'étaient arrêtés, après plusieurs jours de voyage, dans une auberge de la bourgade de Blacksmith Bridge. Des proprettes maisons de modeste taille, des rues maladroitement pavées et un peu étroites, une grande forge fumante au bout de la ville. Une petit ruisseau, autour duquel s'étaient organisés de petits canaux et de jolis ponts de pierre, la traversait pour se prolonger dans les champs secs de l'hiver, jusque devant la forêt qu'on disait maudite parce qu'elle était réputée impénétrable et dont personne ne s'approchait jamais.

– Ils sont tout proches. Je les sens... je peux les sentir ! murmura Hannah, assise sur une petite banquette de la réception, le menton penché sur la poitrine et les genoux serrés contre elle, dans cette même position qu'elle avait adoptée, comme enfermée sur elle-même, pendant toute la durée du voyage. Tu es donc là, Ô mon maître ?

Mais elle n'obtenait jamais de réponse. Haars Besoor ne daignait plus ni la guider, ni s'adresser à elle. Elle devrait compter sur sa propre force désormais, comme s'il l'avait lancée un bon coup pour qu'elle prenne enfin son indépendance et assume ses actions. Ce qu'elle comptait bien faire.

Les hommes qui l'accompagnaient se tenaient debout dans le hall d'entrée, dispersés à droite et à gauche. L'Homme en Violet qui dirigeait toute l'opération était en pleine négociations avec l'aubergiste. Ils avaient roulés des jours entiers durant lesquels Hannah donnait de vagues directions ; un peu plus tôt, elle avait entendu les soldats dire que la nuit tombait, et elle leur avait annoncé qu'ils se rapprochaient ostensiblement. Ils avaient donc fait halte dans la ville la plus proche, qui s'était donc trouvée porter le nom de Blacksmith Bridge.

Hannah redressa la tête. Elle était fatiguée.

– Allez, avance, lui intima finalement Dietr en la poussant un peu. Notre chambre est réservée.

Après le hall d'entrée, elle se sentit poussée le long d'un couloir, puis sur un lit. Les draps de lin étaient rêches sous ses doigts et sa joue était collée contre le froid d'une vitre. Elle s'était effondrée n'importe comment, mais elle n'était pas mécontente.

– Évidemment, pas de sortie avant la chasse de demain. Tu ne bougeras pas. Je dors dans la même chambre que toi, et inutile de tenter de fuir ou quoi que ce soit, je n'hésiterai pas à sévir. Je suis prêt à bien plus de choses que tu ne le crois, alors je te déconseille de jouer au plus malin avec moi. Pour l'instant, tu as été sage, je te conseille de le rester.

Sur le lit jumeau au sien, le membre de la garde royale était assis en tailleur. Il se curait vaguement les ongles avec une large dague affûtée d'un air menaçant. Elle ne pouvait même pas le voir et elle laissa échapper un petit rire jaune.

– ... me tuer, peut-être ? Alors que la reine prend un tel plaisir à me torturer de ses mains qu'elle a fait de moi sa protégée, et que je suis votre seule chance de retrouver les Fuyards ! Ha !

Elle ne tarda pas à plier en deux sous l'effet du coup de pied qui suivit, et elle se replia en une boule gémissante sur le lit.

– Silence ! C'est moi qui dirige, ici. J'ai été entraîné durement depuis mon plus jeune âge, je ne connais plus la pitié. Et si Sa Majesté me laissait l'honneur d'en finir avec toi, tu pleurerais pour que soit elle qui t'achève à ma place. Tu t'imagines même pas ce que je peux te faire. Te frapper sur les emplacements précis de tes moindres nerfs, insérer ma dague empoisonnée dans tes parties les plus sensibles, faire brûler lentement les plaies que je t'aurais infligées avec de l'huile brûlante... T'ouvrir les veines en te suspendant à un mur et te faire saigner juste assez pour te garder en vie... T'écraser le visage dans les organes que je t'aurai ôtés, t'étrangler avec tes propres viscères... Des douleurs comme tu ne pourrais même pas les imaginer. Un ordre de S. M., et je n'hésiterai pas à m'en donner à cœur joie.

– Vous croyez me faire peur ?

Une main rêche et musculeuse s'abattit avec force sur son visage, écrasant son nez dans un flot de sang.

– Ne joue pas avec moi, je n'aime pas qu'on teste mon autorité.

Il la souleva par le col de sa cape et de ses vêtements et lui colla la figure contre la fenêtre, sa joue encore douloureuse du coup qu'il lui avait donné s'écrasant contre le verre.

– T'as foutu du sang partout ! Va nettoyer !

Il la lâcha sans ménagement et elle retomba sur le lit.

– Où est-ce qu'il y a un évier ?

– Grouille-toi !

Il la souleva à nouveau et la traîna violemment vers le coin salle de bain, la jetant une nouvelle fois au sol.

– On peut s'amuser avec elle, chef ? ricanèrent les soldats qui les accompagnaient depuis la pièce adjacente.

– Fermez-la, bande de porcs ! Qu'un seul d'entre vous pose ses sales pattes sur elle et je le saigne aussi sec. Sa Majesté vous considère comme des hommes de confiance, et je ne crois pas que vous teniez pas à ce que je lui fasse un rapport. Avec ou sans cape, je reste un Homme en Violet, c'est-à-dire à la fois la main royale, l'ombre de la mort, et votre supérieur ! Allez nous trouver un souper.

Ils détalèrent comme des lapins, connaissant la violence des colères de Dietr et son sens personnel du devoir. Il ne lésinait jamais sur la violence et même s'il n'était pas le premier à suivre à la lettre le code de son ordre, il était très ancré dans sa mission sur cette terre.

– Et maintenant, la XXI, tu vas rester bien sagement sur ton lit comme je te l'ai demandé. J'aurai mes deux pistolets braqués en permanence sur toi. Et je te préviens, t'as pas intérêt à ce qu'on rentre bredouilles à la fin de cette expédition. Je dis ça surtout pour toi ; tu finirais avec les bras et la tête à l'entrée de Londerplatz et les jambes à l'autre bout de la ville.

Je n'échouerai pas, songea Hannah, qui avait réussi à échapper à sa corvée de ménage pendant que Dietr s'énervait sur ses hommes. Mes chers Fuyards, c'est demain que nous réglerons les comptes.

Les Gardiens de l'Œil (Les XXIs, livre II)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant