Chapitre XXXI

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 XXXI

Hannah glissa entre la première couronne d'arbres en retenant son souffle, et fut envahie par une sensation désagréable ; elle se sentit un instant prisonnière d'une espace mou et collant, comme si elle traversait un mur gélatineux d'une trentaine de centimètres d'épaisseur.

Une vive lueur traversa l'espace, elle entendit résonner au fond de son crâne comme le bruit d'une chaîne que l'on scelle par un lourd cadenas, et elle se retrouva dans le campement des Fuyards, dans un environnement nouveau, tous ses sens en alerte.

Tout d'abord, pendant quelques secondes, on ne la remarqua pas.

Elle entendait des bribes de voix confuses – certaines très familières, et elle sut immédiatement qu'elle avait réussi sa mission – mais d'autres tout à fait nouvelles, et plus que ce à quoi elle s'attendait. Ils accueillaient donc des étrangers à leur groupe parmi eux ? Elle sentait à la résonance des bribes de conversation, et au grand vide autour d'elle, qu'elle se trouvait dans une clairière – elle perçut également le léger murmure de la rivière qui traversais le bois, mais où dont étaient passés les arbres ? Peut-être avait-elle mal imaginé le lieu.

Puis Örka tourna la tête. D'abord elle ouvrit grand la bouche, et ses yeux s'arrondirent sous la surprise ; ensuite elle comprit qu'elle n'aurait pas d'explication rationnelle en restant plantée là, et puis surtout elle était tellement contente de retrouver cette amie perdue qu'elle accourut vers la nouvelle venue.

– Hannah ? s'étonna-t-elle.

Elle bondit et la serra dans ses bras. L'interpellée restait de marbre, ne sachant comment réagir, et surprise à son tour.

– Que je suis heureuse ! murmurait son amie, et on entendait à sa voix qu'elle pleurait. Mais comment diable nous as-tu retrouvés ? Ah, tu m'étonneras toujours. Ce que tu m'as manqué ! J'étais sûre que je ne te reverrais jamais plus. Hannah... Oh, Hannah !

Et Örka serrait si bien, si fort et si tendrement en même temps, que son amie la serra en retour, sans répondre à aucune de ses questions et sans en poser en retour.

– Hannah...

Cette fois, la voix avait balayé toute surprise, elle ne tremblait plus que de rage. Elle était autoritaire et puissante – Hannah la reconnut immédiatement pour celle de Maïke. Il s'avança et écarta Örka pour faire face à l'arrivante.

– Qu'est-ce qui te fais croire que tu es la bienvenue ici ? Et d'abord, comment es-tu entrée ?

S'il partait ainsi, elle n'avait pas intérêt à être en reste. Il n'était pas question de lui céder ne fût-ce qu'une once de terrain.

– Comment n'importe qui pourrait entrer dans une forêt, répondit-elle.

– Ha ! Mais ce n'est pas n'importe quelle forêt. Tu es ici dans la Rétine ! Et si la Prophétie est en toi, comment se fait-il que tu ne sentes pas le pouvoir de ce lieu ?

Hannah inspira profondément en fermant les yeux. L'écorce des arbres l'enveloppait, l'odeur des pins montait à ses narines, et une soudaine poussière dorée l'enveloppa intérieurement. Elle fit gonfler ses poumons ; une simple goulée d'air la ravivait plus que ne l'aurait fait une bonne nuit de sommeil. Instinctivement, elle avait la sensation d'être chez elle – le seul endroit où elle rentrerait comme un poisson dans l'eau. Un flot incessant coulait dans les méandres de son cerveau apaisé ; elle se remplit d'une énergie et d'une force nouvelle.

– Meerk ! Sh'gaa ayii main d'aga ! cria Maïke.

Rashk. Shki'in da, coupa net Hannah avec colère.

Les Gardiens de l'Œil (Les XXIs, livre II)Where stories live. Discover now