Chapitre VIII

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VIII

– Quatre jours, Votre Majesté, quatre jours ! Imaginez tout ce qui peut arriver en quatre jours.

– Je sais, Varvaddon, je sais. J'ai déjà vécu un peu plus de quatre jours dans ma vie. Mais si vous continuez à me harceler de votre babillage incessant – qui, je l'ajoute, est le bourdonnement d'une mouche répugnante –, je ne suis pas sûre de finir cette semaine avec toute ma santé mentale. Déguerpissez. Je ferai venir mes masseuses.

– Pour un fois, Majesté, je me dois de ne pas partir. Il est primordial que je reste à vos côtés. Il se pourrait que nous soyons à l'aube d'une guerre. Pensez donc ; quatre jours que nous avons reçu cette tête en boîte ; et plus rien. Mais ils pourraient bien débarquer sur les plages avec des tanks, vu le temps que nous leur laissons !

– Une guerre ! Ha ! La mouche devient un chien aussi stupide qu'irritant. Qui oserait affronter par les armes la Reine Suprême, la créature la plus puissante de la planète, devant qui tout s'incline ou meurt ? Celle qui abat un cheval entre les deux yeux, paupières closes, à vingt mètres ? Je tiens des gardes puissantes à portée de main ; je n'ai qu'un signe à faire, et le ciel se déchaînera sur les crânes de mes ennemis.

– Certes, certes, mais cela, le Chancelier Grott ne le sait pas. Comment le pourrait-il ? Il vient à peine d'arriver à son poste, et le voilà déjà parti pour incendier toute l'Europe.

– C'est bon, c'est bon ! Mais que voulez-vous donc ?

– Rafraîchir l'armée, effectuer des contrôles des troupes, et lancer un enrôlement volontaire, par exemple... Ce seraient là de judicieuses décisions.

–Je m'y refuse : ce serait se plier aux caprices de cette ordure. De plus, si cela s'apprend – ce qui ne manquera pas d'arriver, je le sais bien – cela aura toutes les chances de le précipiter à attaquer le premier.

–  Dans ce cas, laissez-moi vous organiser une entrevue avec Grott. Si vraiment toute cette histoire doit se solder par une guerre, il faut qu'au moins vous ayez échangé vos points de vue mutuels.

S. M. soupira.

– Organisez donc cela dans une heure, et j'y serai.

–  Euh... Bien.

Le Chancelier claqua des talons et conclut par un bref salut avant de sortir presque en courant. Maintenant que la Reine était de retour, il n'avait plus une minute à perdre.

***

Et en effet, il ne perdit pas son temps. Une heure plus tard, il avait déjà arrangé l'affaire avec les ministres allemands qui, à vrai dire, n'attendaient que cela. Le siège surélevé habituel de la salle d'intercommunication avait été remplacé par l'un des trônes royaux transportables des grands greniers, et S. M. étaient majestueusement assise en face de l'immense image projetée du Chancelier Grott.

Georgia avait dressé sur la tête de la Reine Suprême son habituel gigantesque chignon conique, et son habilleuse lui avait revêtu une longue robe rouge en forme de cloche et à manches bouffantes, imprimée de fleur de lys et de lignes noires. Sa peau était rendue presque sans défaut par un maquillage professionnel, et surtout son regard paraissait terriblement écrasant. Varvaddon avait gominé ses cheveux à la perfection, et se tenait solennellement debout à la droite du trône.

En face d'eux, ou plutôt, à des kilomètres et des kilomètres de là, Grott portait un costume militaire vert bouteille décoré de galons dorés et arborant de nombreuses plaquettes de rang. Son visage était sévère bien qu'un peu rond ; ses cheveux marrons étaient coiffés légèrement en pointes, et son col montait assez haut.

Les Gardiens de l'Œil (Les XXIs, livre II)Where stories live. Discover now