Chapitre XLI

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 XLI

– Envoyé spécial Docteur H. J. Hudson ? Veuillez nous suivre, s'il vous plaît, intima le soldat entre deux âges à l'uniforme kaki repassé à la perfection.

– Comment ? s'enquit l'interpellé en relevant les yeux de ses papiers et en fronçant ses sourcils pâles. Que je vous suive ? Que signifie ceci ? Je me dois de finir le rapport sur l'évasion.

– Ce sont des ordres de S. M. – quant à votre rapport, ne vous en souciez plus ; quelqu'un d'autre le finira pour vous. Pressons, je vous prie.

– Bon, très bien, très bien.

Il enfila son pardessus d'un gris pâle tirant un peu sur le vert et un peu sur le bleu, appuya son feutre sur son crâne et rajusta ses petites lunettes bordées d'or d'un geste expert du majeur. L'homme le pressa à l'extérieur, où deux Hommes en Violet, silencieux et encapuchonnés, attendaient aux côtés d'un fourgon métallique sur lequel était peint, en lettres d'or, "Gloire à S. M.".

– ...nez bien que vous n'allez pas rester ici longtemps, disait sèchement un officier à Anton Microft, le directeur, à quelques pas de là. Attendez-vous à recevoir des directives d'ici une semaine. Vous avez tous fait votre temps. Ce bagne sera rasé et tous ses gardiens seront recyclés – envoyés en Hongrie, dans d'autres pénitentiaires, ou bien convertis pour la banque ici à côté. Quant à vous, qui sait ? Vous irez peut-être visiter le continent, vous aussi. Sur ce, adieu, Monsieur Microft. Je vous remercie de votre coopération.

L'interpellé n'avait pas l'air très inquiet. Il sourit vaguement avec un petit geste de la tête à l'officier qui se dirigeait vers le docteur pour le presser dans la fourgonnette, et sortant une pipe, le directeur entreprit de l'astiquer fermement avec son mouchoir de poche.

– Je vous souhaite bonne chance pour la suite, ajouta le militaire en se retournant avec le moins de conviction et de sympathie possible, avant de monter tout à fait.

La voiture démarra, et s'en alla à travers les prairies humides qui n'avaient pas encore tout à fait retrouvé leur verdure.

– Ce pauvre Hudson... fit vaguement Anton en regardant le véhicule s'éloigner. Mais je ne l'ai jamais vraiment aimé. Quelque chose en lui m'a toujours rappelé un vieux rat.

Il se tut et reprit l'astiquage de sa pipe. Une fois ce travail achevé, il la bourra consciencieusement. Au moment de l'allumer, il se ravisa, et la fourra dans sa poche.

– La Hongrie... frissonna-t-il. Je pense que la tambouille de ce brave Monsieur Barouff va me manquer.

Il passa les portes défoncées de la prison à demi ouvertes et rentra dans son bureau où il annonça une dernière réunion du maigre personnel restant à travers l'interphone.

***

Les deux chevaux hybrides de première qualité, dirigés par l'un des Hommes en Violet, tiraient le fourgon au galop à travers la campagne. L'attelage était conçu pour ne pas être trop secoué sur la route. À l'arrière, le docteur observait vaguement le paysage sans vraiment réaliser ce qui lui arrivait.

Le soleil tombait à l'horizon, tachant le ciel désormais bleu nuit d'éclaboussures orangées, quand le véhicule s'arrêta devant le château de Buckinghamsplace Palace. On fit descendre le prisonnier et on lui attacha les mains dans le dos au moyen de solides menottes.

– Mais... s'écria celui-ci. Qu'est-ce que... ? Il doit y avoir erreur ! Je suis un envoyé spécial de Sa Majesté ! Lâchez-moi donc ! Je...

– Silence, lui intima l'officier.

Les Gardiens de l'Œil (Les XXIs, livre II)Where stories live. Discover now