Chapitre XLII

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 XLII

– Je pense qu'on arrive, déclara Hannah tandis qu'elles marchaient le long d'une route caillouteuse.

Elles ne cessaient pas un instant leur progression ; Hannah avait peur de se perdre si elle s'arrêtait encore un instant.

– Pardon ? s'étonna Lii. Comment est-ce que tu pourrais le savoir ?

– Une intuition.

Hannah répondait souvent par ce genre de phrases aux questions que Lii tentait de lui poser. Elle n'obtenait que peu de réponses, alors qu'elle était vraiment déboussolée. Elle était encore effrayée, elle avait presque tout oublié des autres, et elle se sentait à peu près aussi bien qu'une coquille d'œuf brisée et vidée. Cependant elle n'avait pas d'autre choix que de suivre celle qui l'avait sauvée ; aussi continua-t-elle d'avancer sans broncher. Un quart d'heure plus tard à peine, Lii remarqua un panneau un peu rouillé.

– "Midforth Mines, North", lut-elle à haute voix.

– Parfait.

– Et... et une fois qu'on arrivera devant ces fameuses mines, comment va-t-on faire ?

– Aucune idée. Je compte me fier à mon instinct.

– Je ne veux pas te blesser, Hannah, mais est-ce que tu n'aurais pas un peu trop confiance en ton instinct ? Qu'est-ce que je ferai, moi, si tu meurs ?

L'interpellée soupira.

– Tu ne peux pas comprendre. Je ne suis plus moi-même. Depuis quelques jours, on pourrait dire que je suis devenu un nouvel être – en tous cas, ce nouveau moi est loin d'être comme la majorité des humains. Attends-moi donc ici. Essaie de te cacher, en tous cas ne te fais surtout pas voir ; je reviendrai bientôt te chercher.

– D'accord.

Elle s'éloigna un peu et partit s'asseoir derrière un arbre entouré d'herbes un peu hautes. Hannah inspira profondément et continua son chemin. Sans qu'elle sache bien pourquoi, elle affichait une expression de détermination et des yeux emplis d'une immense tristesse. Elle s'arrêta net. Une large barrière, encerclée de grillage lui-même surmonté de barbelés se trouvait à quelques pas d'elle, barrant la totalité de la voie – la route qu'elle empruntait conduisait en fait en plein dans les fameuses mines. Et juste à côté, une guérite abritait avec un garde armé d'une longue carabine à baïonette.

– Mademoiselle ? l'interpella-t-il d'un ton dépourvu sec, méprisant et même un brin agressif – après tout, elle était vêtue de haillons, elle ne voyait rien, ce qui lui donnait souvent un petit air perdu, et puis, elle était en zone interdite. Veuillez faire demi-tour.

– Pardon, Monsieur, je suis à la recherche de quelqu'un. Pourriez-vous m'ouvrir la barrière et m'indiquer les baraquements des prisonniers ?

– Écoute, petite, ça ne me fait pas rire. En plus, manque de pot, j'ai mal dormi cette nuit. Alors tu dégages ou j'appelle mes collègues, et crois-moi, tu risque de passer un sale quart d'heure. C'est pas un terrain de jeu.

Hannah se craqua tous les doigts puis se tourna vers lui pour faire comme si elle le regardait, la tête légèrement inclinée et un petit sourire effrayant sur les lèvres. Cependant ses yeux étaient pâles et vides ; le garde frissonna malgré lui.

– Oh, t'es sourde ? Je t'ai dit de dégager !

– Je suis Hannah Huckledown, coupa-t-elle d'un ton qui avait quelque chose de terrible dans son impassibilité et son calme apparent. Je suis l'Élue de Prophétie de l'Œil, et rien ne me résiste. Or il me semble avoir posé une question.

Les Gardiens de l'Œil (Les XXIs, livre II)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant