Chapitre XXIII

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XXIII

– Tout est prêt de notre côté ?

– Oui, Votre Majesté.

Le premier majordome s'inclina, et S. M. l'envoya régler d'autres affaires d'un geste de la main. Elle était allongée sur un divan crème au dossier entouré de bois richement sculpté, dans l'un des grands salons du premier, sous un gigantesque lustre aussi scintillant qu'imposant. De là elle achevait de donner ses derniers ordres en préparation du premier combat. Le moindre détail était crucial. Varvadon s'approcha.

– Ma Reine, vous avez donc tout organisé et d'ores et déjà lancé toutes les opérations ?

– Vous doutez donc de mon efficacité, Chancelier ?

– Disons plutôt que j'ai du mal à réaliser que la guerre est en marche.

– Elle l'est bel et bien, pourtant. La première compagnie de pétardiers et le régiment de cavalerie qui l'accompagnent se sont embarqués ce matin. Nous nous devons de rester ici, malheureusement : nous leurs donnerons le signal de charge par intercommunication. Mais j'assurerai mon rôle de souveraine en personne par la suite, ne vous inquiétez pas !

– J'en suis assuré, Votre Majesté. Personne n'en attend moins de vous.

– Vous, par contre, vous devrez me tenir informée de l'avancée de nos troupes.

– Bien entendu, c'est là le moindre de mes rôles.

– Je me réjouis déjà à l'idée de tuer ce sale chien de Radggof, puis ce triple abruti de Grott, de mes propres mains. Que les instructions soient très claires : je veux et dois être celle qui portera le coup fatal.

– Personne ne refusera ce droit fondamental à Votre Majesté. Il est légitime que vous vengiez l'honneur de la nation de vos propres mains.

– Vous êtes bien poli et bien conciliant ce matin, Varvadon. Qu'est-ce donc ? Comptez-vous me remettre votre démission ? Car de toutes façons, elle sera refusée.

– Je vous parle avec tout le respect qu'un humble chancelier doit avoir pour sa souveraine, croyez-moi. Quant à vous quitter, sachez bien que c'est la dernière de mes envies ; toute démission serait contraire aux lois de la profession et je tiens à être irréprochable. Je resterai à vos côtés jusqu'au bout, Majesté, ne l'oubliez pas.

– Allons, voilà que vous exigez des choses de moi ! Décidément, vous êtes bien d'humeur étrange. Sortez donc prendre l'air, je ferai sonner si j'ai besoin de quoi que ce soit.

Le chancelier s'exécuta avec un petit sourire plein de malice. Un bref congé était si facile à obtenir quand la grande reine n'était pas débordante de rage !

***

S. M. se dirigeait vers la salle d'intercommunication. Elle s'était habillée selon l'occasion ; Jess et ses assistantes lui avaient confectionné un costume militaire kaki, avec une veste au revers couvert de ses nombreuses décorations et de plaquettes colorées, accompagnée d'une cravate plissée blanche. Le pantalon bouffait légèrement aux mollets et les bottes, d'un marron tirant sur le bordeaux, étaient parfaitement cirées, et claquaient sur le parquet scintillant des couloirs de Buckinghamsplace Palace.

Un majordome lui ouvrit la porte. La poignée de diplomates qui était assise sur les gradins en demi-cercle se leva et s'inclina gracieusement. La reine se plaça avec majesté sur son trône, étudia sa posture, redressa son dos, décontracta ses épaules pour se donner un air plus naturel, et, les deux mains entourant soigneusement ses accoudoirs, elle fit un signe de la tête pour signifier à l'assemblée de retourner à ses occupations. Elle composa son visage pour se donner un air à la fois important, digne et grave.

Les Gardiens de l'Œil (Les XXIs, livre II)Where stories live. Discover now