Chapitre 5

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Faolàn baisse les yeux sur la gamine qui s'affaisse dans ses bras, sans un son. Il l'observe un moment, presque surpris, sa main toujours sur son ventre. Elle a les yeux bruns entourés de longs cils qui papillonnent comme ceux d'une biche affolée, des cheveux bruns, longs et attachés qu'il tient fermement dans une main : sa peau est dénuée de couleur, pâle comme la mort, quelques taches de rousseur sans importance se baladant à quelques endroits. Une gamine ennuyante, en somme, avec rien d'extraordinaire à son apparence. Même pas beaucoup de formes ou de force. Probablement pas beaucoup d'intelligence. Un rire cruel lui échappe.

Elle avait pourtant eut cette éclat dans les yeux, cette éclat fascinant qui l'attire comme un papillon de nuit cherche la lumière. Cette peur brillante et intense que ses victimes lui offraient lorsqu'elles sentaient le métal à la gorge. Faolàn a un faible pour la peur des autres. Elle apparaît d'abord dans les yeux, une étincelle paniquée qui enflamme ensuite le visage, la peau qui pâlit, les sourcils qui se lèvent, l'expression qui se fige et finalement le corps qui se paralyse ou se tord dans une sorte de danse hystérique, la proie qui tente d'échapper au prédateur. La peur est un sentiment puissant. Infiniment puissant. Ravageant. Incroyable. Elle lui procure une montée d'adrénaline, une euphorie qui le secoue des pieds et la tête.

Il regarde à nouveau la gamine. Il jette un regard à son arme. Surprenant, qu'il ne lui ait pas encore tranchée la gorge. Il grogne. Il ne veut pas trancher la tête à une femme inconsciente, il veut qu'elle le regarde dans les yeux, avec les pupilles dilatées et les cils qui battent désespérément tandis que la peur la pousse à lui griffer les bras, un geste si vain, si faible. Faolàn réfléchit, hésite entre tuer et laisser vivre, jouant le rôle du loup devant l'agneau, un loup cruel qui tue sa proie par plaisir et non par faim.

Perdu dans sa réflexion, il n'entend pas la neige crisser derrière lui.

Brusquement, il sent une main glacée sur son épaule dénudée et sursaute, se retournant d'un geste brusque, la gamine toujours dans ses bras. L'homme derrière lui recule d'un pas, les yeux grands ouverts, les mains en l'air.

« Calme-toi ! », s'exclame-t-il, « C'est Pranan, je ne viens pas pour te tuer ! »

Pranan est torse-nu, ses tatouages bleus ressortent de manière fantomatique, comme des petits serpents couleur nuits s'enroulant autour de son corps. La peau d'ours qu'il avait porté quelques heures auparavant, une sorte de moquerie aux histoires qu'on raconte sur leurs comptes, a dû être perdue pendant le combat. Faolàn émet un sourire ironique. Les gens étaient ridicules, avec leurs petites histoires, pathétiques même. S'ils connaissaient la vérité, ils n'oseraient même pas en parler, car la vérité est bien pire que ce qu'ils chuchotent derrière leurs paumes de main.

La vérité est bien plus cruelle.

Faolàn jette un regard aux maisons brûlées derrière lui. Demain matin, ce village ne sera plus que souvenir du passé.

Pranan se racle la gorge et le tire de ses pensées.

« Fao ? », demande-t-il, « Qu'est-ce que tu fous ? »

Il lève un sourcil en regardant la gamine dans ses bras. Faolàn hausse les épaules et ne dit rien. Pranan fait un pas en avant, les yeux plissés.

« Faolàn, faut qu'on dégage d'ici. »

Faolàn soupire.

« Qui c'est, d'ailleurs ? », demande Pranan, le visage dur.

« J'en sais rien, une gamine du village. », grogne Faolàn et Pranan secoue la tête.

« Achève-la et vient. On n'a pas qu'ça à faire. »

L'esprit en extase de Faolàn est embrumé, libre et ne veut pas accepter d'ordre. Dans les effluves d'alcool et de violence, il ne veut pas écouter son ami, ne veut pas tuer quelqu'un qui semble déjà être mort.

« J'vais pas la tuer alors qu'elle n'est déjà presque plus en vie ! », dit-il.

« Et tu comptes faire quoi ? L'allonger sur un lit de mousse jusqu'à ce qu'elle revienne à elle ? Et ensuite quoi ? Elle t'as vu, Faolàn. Ce qui assure notre survie en partie c'est que personne ne vit assez longtemps pour décrire notre putain de visage. Les gens croient qu'on n'existe pas et tu veux laisser courir une gamine qui pourrait détruire tout ça juste parce qu'elle a ses yeux fermés ? »

Faolàn hésite un instant. Puis :

« Je ne l'achèverai pas. Je l'emmène. »

Pranan le fixe quelques secondes avant de pousser un bruit énervé.

« T'es fou, Faolàn. T'as complètement perdu la tête. Vam va te tuer. Les autres vont te tuer. L'ordre était de tout liquider et de revenir avec tous les biens. Pas de ramener une pucelle stupide et geignarde qui ne sera qu'un fardeau. »

Faolàn fronce les sourcils puis offre un sourire cruel à l'autre.

« Je fais ce que je veux, Vam n'a qu'à aller se faire voir. Si je veux ramener une pucelle stupide et geignarde, je le fais, point. » Il fait un clin d'œil à Pranan. « Et si Vam n'est pas content, on n'a qu'à la considérer comme un bien. »

Pranan soupire et renifle bruyamment. Il se gratte le front de sa main pleine de sang séché.

«Fais ce que tu veux, imbécile. », grogne-t-il, « Mais ne te plains pas si Vam te mets au pain et à l'eau pour les prochaines décennies. Cet homme ne rigole pas avec ses ordres et tu es clairement en train de désobéir. »

Le visage de Faolàn se durcit.

« J'ai obéit bien assez longtemps, Pranan. », crache-t-il. L'autre homme soulève seulement un sourcil puis se retourne et part sans un mot de plus.

Faolàn le regarde un moment, la rage au ventre, puis ses yeux retombent sur la gamine. Il hésite quelques secondes, se demandant s'il prend la bonne décision et s'il ne ferait pas mieux de s'en débarrasser rapidement. Pranan avait raison, leur chef Vam allait lui en faire voir de toutes les couleurs. Un élan de rébellion monte en lui et il met la gamine inconsciente sur son épaule, comme on porterait un vulgaire sac. D'un pas décidé, il se met en route pour quitter le village en suivant les pas de Pranan. Un village où les morts s'entassent comme des poupées au sol, inanimées.

Au milieu d'eux, Humia gît, les yeux grands ouverts. Elle a l'air un peu surprise, un peu déboussolée. Elle semble regarder Freyja et murmurer un avertissement de sa bouche cadavérique.

Dans le ciel, la neige continue à tomber.

Dans le ciel, la neige continue à tomber

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Vénus a froidWhere stories live. Discover now