Chapitre 15

12.6K 1.1K 21
                                    


Au bout d'un moment, il se relève en titubant un peu et tient silencieusement le corps de Freyja contre lui, dans l'espoir qu'elle soit encore en vie. Une petite voix cruelle dans sa tête lui susurre que la mort de la jeune femme serait bien fait pour lui, une leçon amer à tirer sur lui-même. A grand pas, Faolàn emmène Freyja dans sa tente. Il se penche au-dessus de son lit et l'allonge précautionneusement dans ses fourrures chaudes. Ses yeux caressent la jeune femme du regard et il déglutit, clignant plusieurs fois des yeux. Il a presque honte lorsqu'il regarde ce corps et chaque blessure et un rappel de son propre passé. Un passé dur et violent qu'il a enfoui dans les abîmes de son cœur malmené. Lentement, il pose un doigt contre la gorge de la jeune femme et une main au-dessus de sa bouche. Un battement faible et fébrile, comme celui d'un petit oiseau affolé, se fait sentir contre son index tandis qu'il sent un souffle discret contre la paume de sa main.

Elle est encore en vie et il laisse échapper un soupir de soulagement, les yeux fermés un instant, une prière muette envoyée à quiconque il doit ce miracle. Faolàn hésite un peu puis, dans un baquet d'eau, il trempe un morceau de tissu. Il se penche à nouveau au-dessus d'elle et d'une main encore incertaine, dans les vapes de l'alcool qui tourbillonnent encore un peu derrière ses yeux bleus, il lui nettoie plaie après plaie, le visage, le corps. Il l'enveloppe finalement dans des fourrures douces et propres qu'il trouve dans un de ses coffres et, le regard injecté de sang, il la regarde ensuite un moment.

Elle est jolie, malgré son état. Les boucles brunes et salies entourent son visage fin aux traits inertes et blancs. Elle a cette beauté délicate et presque invisible des femmes qui ont trop souffertes mais qui garde ce surprenant rayonnement dans leurs corps amochés. Faolàn laisse sa tête retomber dans sa nuque. Freyja est belle et il la hait pour ça, car devant sa beauté, il se rend compte de sa propre laideur. Il baisse les yeux sur lui-même. Il observe les cicatrices sur son corps, certaines de légères et fines lignes blanches qui s'enroulent autour de ses tatouages, certaines plus récentes, plus visibles. Ses mains immenses et rugueuses qui tremblent et qui n'osent pas toucher un instant de plus le corps frêle devant lui, les restes de sang sur son torse qu'il enlève frénétiquement lorsqu'il les voit.

Pranan avait eu raison. Il n'est qu'un animal, simplement capable de destruction sans savoir comment recoller les morceaux par la suite. Faolàn pose sa tête dans ses mains froides. Pourquoi est-il comme ça ? Quand l'était-il devenu ? Il n'était pourtant pas tellement violent au départ. Au départ. Il se rappelle son arrivée au camp. Il faisait froid, il avait mal. Il n'était qu'un gamin, un enfant à qui la vie n'avait accordé aucune grâce. Il se rappelle des événements avant le camp. Les viols. Les coups. La faim. La peur. Faolàn n'est même plus sûr si à l'époque, il voulait survivre : combien de fois avait-il pleuré, combien de fois avait-il demandé libération de cette douleur constante ?

Lorsqu'on l'avait emmené chez Vam, les grands yeux sans innocence écarquillés et la peur au ventre, il n'avait été qu'une loque, presque mort intérieurement. Il pensait être devenu plus fort. Il pensait avoir enfin réussi à se débarrasser de tous ces souvenirs oppressant, il pensait que la violence de son passé avait été éradiquée par la violence de son présent. Il pensait ne plus être l'adolescent torturé par ses propres cauchemars, lorsque les souvenirs réapparaissaient au beau milieu d'une nuit gelée. La respiration de Faolàn accélère. Il se souvient avoir été allongé entre quelques fourrures, le corps fatigué et les yeux mi-clos. Lorsqu'il fermait alors les yeux, une voix distincte le faisait brusquement trembler, la voix du bourreau. Il entendait à nouveau sa mère lui murmurer des mots cruels et des larmes salées, des larmes juvéniles de désespoir, lui avaient roulé le long des joues tandis qu'un cri silencieux lui avait fait ouvrir la bouche. Faolàn sert les poings. Il n'est plus ça. Il n'est plus ça et il ne le sera plus. Il déteste ce sentiment, d'impuissance, de rage silencieuse, de douleur et de désespoir. Inspire. Expire.

Peu à peu, il arrive à se calmer et sans réfléchir, décide de s'allonger à côté du corps fiévreux et toujours inconscient de Freyja. Il sourit ironiquement devant leur différence de taille. La jeune femme semble minuscule. Ridicule. Faolàn inspire bruyamment et ferme les yeux. Une douleur intense lui cogne contre les tempes. Après plusieurs minutes, il rouvre ses prunelles bleues, incapable de dormir. A nouveau, il hésite un peu puis tend sa main vers Freyja et, lentement, presque tendrement, lui caresse les cheveux défaits et le visage inerte et paisible qui pour l'instant ne semble pas avoir connaissance du monde qui l'entoure. Pensant que de toute façon, elle ne l'entend pas, Faolàn rapproche son visage de son oreille et doucement, d'une voix tremblant de temps en temps, il se livre à elle des heures durant. Il lui raconte tout son passé, chaque horreur, chaque douleur. Certaines choses, il les murmure : elles ne peuvent pas être racontées plus fort. Mot après mot, Faolàn sent son cœur alourdi par tout ce qu'il a vécu s'alléger, accélérer pour à nouveau ralentir. Lorsqu'il a fini de parler, il pose un bras autour du corps de Freyja en prenant bien garde de la garder au chaud dans les fourrures et de ne pas toucher les blessures pour lesquelles il est et se sent responsable. Il finit par enfouir son visage livide dans les boucles brunes de la jeune femme : il ferme ses yeux lourds et à son tour, s'endort, bercé dans les bras de Morphée d'un sommeil agité par les souvenirs qui font trembler son corps de leurs images et visages trop longtemps oubliés et brusquement ressurgis.

 Il finit par enfouir son visage livide dans les boucles brunes de la jeune femme : il ferme ses yeux lourds et à son tour, s'endort, bercé dans les bras de Morphée d'un sommeil agité par les souvenirs qui font trembler son corps de leurs images e...

Oups ! Cette image n'est pas conforme à nos directives de contenu. Afin de continuer la publication, veuillez la retirer ou télécharger une autre image.
Vénus a froidOù les histoires vivent. Découvrez maintenant