Chapitre 14

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Les hommes avaient avalé des litres d'alcool et s'était préparés, retraçant leurs tatouages bleus et revêtant les peaux de bête caractéristiques. Riant, la tête leur tournant dans un brouillard sanguinaire et violent, ils s'étaient mis en route, Faolàn parmi eux. Des heures durant, ils marchent à travers la neige, à travers les arbres des forêts qui masquent leur venue. La troupe décide alors de s'arrêter jusqu'au lendemain. Ils allument un feu, sortent à nouveau le vin, boivent et mangent à nouveau dans un brouhaha de rires dures et voix grasses.
Les yeux de Faolàn brillent dangereusement dans le noir, un peu fous, et Pranan, à côté de lui, lui lance un regard inquiet. Il mâchouille un morceau de viande grillée mais refuse de boire à nouveau, un mal de crâne douloureux lui cognant sur les tempes. Il réfléchit en silence, observant ses camarades, ces brutes de camarades. Lui-même n'a jamais vraiment fait le choix de faire partie de cette troupe sauvage et meurtrière. N'avait jamais voulu en faire partie.


Vam l'avait trouvé en tant que gosse, le dernier survivant du massacre de son village. Pranan se souvient avec de profonds remords les murs en flamme et les vies brisées tristement au sol. Vam l'avait emmené sans un mot et entraîné durant des années, le forçant à prendre un mode de vie qui le dégoûte encore maintenant, qu'il est assis autour des flammes avec les hommes qu'il devrait considérer des amis. Mais dans la tête de Pranan, les images du meurtre de sa famille persiste et il cache au fond de lui une haine intense pour ces hommes qu'il considère comme des bêtes.

Même s'il tue aussi.
Il n'a pas le choix.

S'il se rebelle, Vam le torture et lui fait trancher la gorge. Pranan sert les dents. S'il n'a pas peur de la mort, les tortures de Vam, qu'il connaît de bien trop près, lui fichent des frissons. Alors nuit après nuit et jour après jour, Pranan suit et tue, se détestant lui-même un peu plus à chaque instant et espérant pouvoir fuir un jour. Quitter cette troupe qui le répugne et tenter d'enlever le sang qui lui colle aux mains. Il tourne à nouveau la tête vers la seule personne qui lui est encore chère.

Faolàn. Ce dernier était arrivé une nuit. Il n'avait pas plus de dix ans, de grands yeux bleus effrayés par le monde. Il avait été dans un sal état, le corps frêle et jeune déjà plein de cicatrice et recourbé sur lui-même. Pranan, de quelques années son aîné, s'était occupé de lui et même s'ils n'en avaient jamais parlé en détails, Pranan savait que Faolàn avait un passé violent et douloureux qui le tenait en éveil la nuit et le faisait pleurer et trembler le jour. Mais en quelques années, le Faolàn timide et renfermé s'était endurci et était devenu une bête lui aussi. Comme tous les autres. Le même regard sauvage.

Pranan secoue la tête et, finalement, prend lui aussi une gorgée d'alcool, gorgée qui laisse un goût amer dans sa bouche.

~***~

La chasse avait été fructueuse et cinq jours plus tard, des dizaines de tête coupée après, Faolàn et les autres sont de retour au campement, du sang plein les mains rugueuses et de l'or plein les poches sales. Vam fait alors venir tous les hommes au centre du campement pour dévoiler le riche butin. Lorsque tout le monde est là, la place se remplie de voix et Vam, poussant un rire tonitruant, tape dans les mains pour faire taire ses hommes quelques instants. Il fait appeler des prostitués, ordonne de faire un gigantesque feu qui bien rapidement s'enflamme, les flammes s'élevant dans les airs comme pour toucher les étoiles doucement cachées par des nuages et la fumée. Il fait cuire la meilleure viande et le meilleur alcool est servi aux guerriers qui entonnent des chansons paillardes, se tapent sur les cuisses et rient à gorge déployée.

Faolàn, au centre de tout ça, se sent puissant. Torse-nu il rit et chante aussi et il n'en a rien à faire d'être plus bête sauvage qu'homme. La lumière du feu l'hypnotise et lui réchauffe la peau, ses tatouages bleus ayant des reflets multicolores à la lumières rouge et jaune.


Lorsque la plupart des guerriers sont complètement saouls et gisent au sol, il décide de rentrer dans sa tente.
Il se met en route, traçant son chemin à travers le campement. Il se passe une main dans les cheveux en désordre, laissant ses pensées divaguées. Elles s'arrêtent sur un visage de femme aux yeux de biche.
Brusquement, il s'arrête et jure.
La gamine. Tu as laissé la gamine 6 jours au poteau. Bordel.

Faolàn change de direction et aperçoit au bout de quelques minutes l'instrument de torture qui lui aussi semble s'élever dans le ciel, macabrement. Freyja y est toujours accrochée. Il s'approche d'elle, la tête un peu de côté et l'interpelle de sa voix flouée par l'alcool qui embrume sa tête. Elle ne bouge pas. Il s'approche un peu plus.

« Gamine, j't'ordonne de me répondre ! », dit-il d'une voix forte. Il se retrouve alors en face d'elle. Ses yeux s'écarquillent tandis que brusquement, il a un haut le cœur.

Freyja offre un spectacle désolant. Nue et inconsciente, la tête pendante, les mains et les pieds violets, elle a du sang entre les jambes et sur son visage à moitié caché par ses cheveux défaits et les ombres de la nuit.

Lentement, Faolàn tend une main et la détache et elle tombe en avant. Surpris, Faolàn la rattrape de justesse dans ses bras. Elle ne bouge pas. N'ouvre pas les yeux. Il n'est même pas sûr qu'elle soit encore en vie. À quoi tu t'attendais, idiot ?

« Alors, t'es content de toi? », résonne brusquement la voix dure de Pranan dans son dos et Faolàn se retourne pour lui faire face, Freyja serrée contre son torse.
« Elle l'avait méritée. Et mêle-toi de tes affaires. », crache-t-il, tentant d'ignorer les remords qui lentement prennent possession de son corps. Il n'est soudainement plus si sûr de lui, incertain de ces raisons pour avoir châtié une femme, encore presque une enfant, de manière pareille. Il garde néanmoins un visage imperturbable.
Pranan pousse un rire cruel et tape dans ses mains.
« Méritée, Fao? Elle a été violée et torturée. Des jours durant. Tu aurais mieux fait de la tuer au village directement. Personne ne mérite ça! Personne ! »
« Arrête de jouer le justicier, Pranan! On dirait que tu n'es pas violent toi-même ! Tu veux que je te rappelle ce que tu as fait ? Tu ne vaux pas mieux que moi! Et je ne comprends pas ce qui te prends, ce n'est qu'une vulgaire femme et-»
« Tu n'es qu'un animal, Faolàn. Une bête. Tu veux que je te rappelle comment on t'as trouvé, toi? Tu te souviens de tes membres défoncés? Tu as été violé aussi, petit loup, tu t'es fait défoncer et quand on t'a emmené ici, tu chialais dans la neige comme un gamin qui vient de naître. Comment tu t'es senti, là ? Peut-être que toi aussi, après tout, tu l'avais mérité, hein. Et comment tu t'es senti ? Un vulgaire gamin, dont personne ne voulait pas prendre la défense non plus, tu te souviens ?»
Pranan tourne les talons et part, la rage au ventre. L'alcool le rend agressif et il est tellement dégoûté des agissements des hommes qu'il n'a pas pu retenir les mots cruels lancés à Faolàn. Il s'en fout et rentre dans sa tente, le visage déformé par la colère.

~***~

Pendant quelques secondes, Faolàn est incapable de bouger. Ses membres tremblent et peu à peu les souvenirs le submergent.
Il essaie de les arrêter, mais les voix résonnent dans sa tête et les images défilent. Il essaie de se résonner. Il est un Winterschlächter. Rien ne peut l'atteindre. Rien ne peut l'atteindre. Rien ne peut-... Ses yeux se posent sur le corps dans ses bras et ses jambes lâchent sous son poids et il s'écroule à terre. Il tremble violemment, secoué par des émotions enfouies depuis des années.
Regarde ce que tu es devenu.

Il se souvient de son arrivé au camp et il se souvient de tout ce qu'il y avait eu avant, tout ce qu'il avait tenté d'ignorer, tandis que son corps tremble un peu plus fort et qu'il presse le corps immobile de Freyja contre lui, se tenant à elle comme un naufragé. Un bruit étranglé quitte ses lèvres et brusquement, des larmes jaillissent et l'homme cruel se réjouissant de la peur et de la douleur des autres lèvent son visage au ciel, le cœur serré par une souffrance invisible, le visage tordu par les remords et la tristesse.

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Vénus a froidWhere stories live. Discover now