Chapitre 49

9.9K 792 50
                                    

Freyja court sans se retourner tandis que les pensées tourbillonnent dans sa tête, tourbillonnent et se cognent entre elles sans faire de sens.
Elle est seule, complètement seule et il fait si froid! Elle a peur, Freyja a peur. Des larmes gelées lui coulent le long des joues tandis qu'elle avance. Elle sent quelqu'un la suivre, elle accélère, avance, avance, elle n'en veut plus de cette foutue vie ! Elle n'arrive plus à avoir les idées clairs, ses pensées ne sont plus qu'un mélange de cris, de pleurs, de jalousie et de désespoir.

Un désespoir tenace qui lui crache à la figure et lui brise le coeur parce qu'elle ne peut rien faire, absolument rien, contre l'injustice d'une vie qu'elle n'a jamais voulu!

Son corps n'est plus qu'une loque qui a trop vécu, trop souffert, elle n'a plus de force, plus envie, elle n'a plus envie ! Les pas derrière elle cessent mais elle continue à courir de toutes les forces qui lui restent, elle court à travers une forêt dénudée et glaciale, devant des champs désertiques, accompagnée de quelques hurlements lugubres de corbeaux.

Finalement, elle arrive au niveau de falaises, elle n'a plus de force, elle n'en peut plus, ses jambes craquent sous son poids et elle se laisse tomber au sol. La neige traverse ses habits et glacent ses genoux. Elle lève son visage au ciel, vers ce ciel gris et macabre, ce ciel sans émotions, qui la regarde sans broncher! Des larmes déroulent le long de son visage, des larmes de colère, de tristesse, de désespoir.
"Pourquoi ?", crie-t-elle, "Pourquoi moi ? Il n'y a pas assez d'autres vies, d'autres coeurs que tu aurais pu détruire ? Pourquoi moi ?"
Ses mots se perdent dans le vent et le froid, dans des sanglots incohérents et désespérés.

Elle ferme les yeux un instant et renifle puis se lève en tremblant. Son corps est parcouru de frissons lorsqu'elle avance jusqu'à l'avant de la falaise et regarde en bas. Des rochers et une étendue de vert et de glace. Elle sourit à travers ses larmes, sourit pour se donner du courage. Freyja n'est pas une héroïne, elle n'est pas une grande femme sans peur.

Elle est paralysée à l'idée de mourir, ça lui glace les os. Elle est terrifiée à l'idée de ne plus rien sentir, de disparaître. Elle n'est qu'une gamine qui ne sait pas grand chose, qui n'a pas beaucoup d'expérience et qui pourtant a déjà beaucoup trop vécu.

Une gamine avec des cheveux mal peignées, des souvenirs en vracs. Une gamine qui aime l'été, qui n'a jamais connu le grand amour, qui ne sait pas si elle fait les bonnes décisions.

Un oiseau pousse son cri.

Freyja entoure son corps frêle de ses bras et referme les yeux.
"Weißt du wieviele Sternlein stehen... Hoch am Himmelszelt...", commence-t-elle à chanter d'une voix tremblante, brisée, entrecoupée. Elle lève les yeux au ciel et se tait. Le ciel l'ignore et reste grand, gris et froid.

Elle écarte les bras, un peu, un geste silencieux.
"Pardon mère, père, Tore, Humia... Pardon, pardon !"
Freyja ne prend pas d'élan. Elle fait seulement un pas en avant, puis encore un, et encore un, jusqu'à ce que la pointe de ses pieds frôlent le vide. Elle hésite encore, encore un tout petit peu tandis qu'une petite voix paniquée hurle dans sa tête.

Et si j'ai mal? Je ne veux pas avoir mal! J'ai peur, je ne veux pas disparaître!

Les lèvres de la jeune femme tremble.
"Au secours...", murmure-t-elle lorsque son cerveau tente de comprendre la situation,"Au secours !"
Mais personne ne vient, elle est bien seule, totalement seule...

Alors Freyja sourit une dernière fois. Elle arrête de penser, elle arrête de se poser des questions pour arrêter de souffrir. Elle fait un pas en avant. Son corps bascule dans le vide.

Elle tombe comme au ralenti, savourant un moment de liberté totale. Elle garde les bras écartés, un petit oiseau qui chute sans un mot d'adieu dans le vide. Son coeur bat la chamade, elle a presque envie de rire, de rire et de pleurer, il est si beau ce ciel vu comme ça ! Freyja écarte un peu plus les bras, laissant échapper un son ecstasique. Elle a l'impression de danser avec les flocons qui dansent, elle est légère, légère, rien ne peut l'atteindre, rien ne peut-

Dans un cognement sourd, sa tête heurte un rocher et brusquement, Freyja se tait. Elle tombe sans un bruit au sol, un ange brisé qui saigne à la tête. Elle tombe un sourire aux lèvres, dans la neige glacée.

Elle n'a plus mal, elle n'a plus peur et quelque part, elle n'est plus seule.

La neige peut bien continuer de tomber pour des millions d'années, la Terre peut se briser en morceaux, qu'importe: la Vénus des neiges, la Vénus vidée d'amour, n'a plus froid.

Vénus a froidWhere stories live. Discover now