Chapitre 30

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Des bruits de voix lui parviennent aux oreilles, des bruits de pas, d'objets qu'on bouge et qu'on remue. Il n'ouvre pas les yeux."Suce!"Dans sa tête, rien n'est clair, le passé, le présent, tout est mélangé... "Maman!"- "Suce!".

Il a un goût rance sur la langue, un goût de violence et d'humiliation. Il tente d'ouvrir la bouche, de soulever ses paupières mais sa gorge est sèche et brûlante, il n'arrive même pas à entrouvrir sa bouche...
"Chien!"

Un gémissement quasi animal échappe ses lèvres, il sent la sueur lui couler le long du visage, son corps entier est transi de douleur. Quelque chose bouge à côté de lui... Freyja. Elle est restée, à veiller sur lui jour et nuit.

Elle lui essuie le front, lui donne à boire, le serre contre lui lorsque ses visions nocturnes reprennent le dessus. Souvent, c'est son passé qui le hante, de temps en temps, ce sont ses victimes qui le regardent de leurs yeux morts. Il se met à trembler, Freyja enroule ses bras autour de lui et inconsciemment, il tente de s'approcher encore plus d'elle, de s'enrouler sur soi pour sentir son corps contre le sien.

Lentement, leurs deux corps se relaxent et Faolàn sent que Freyja s'endort lentement à ses côtés. Il ne veut pas la réveiller. Il ne veut pas qu'elle bouge tandis que son corps est pressé contre son dos.

Il sent la conscience le quitter pour quelques secondes, à nouveau, l'entraînant dans ces fichus abîmes...
"Tu as faim, louveteau ?"
Faolàn est assis par terre, nu dans la boue froide, cela fait une semaine qu'on ne lui as pas donné de vrai repas. Maman lui as dit que c'est parce qu'il ne voulait pas s'occuper de tuer les lapins pour le banquet. Faolàn ne comprend pas pourquoi tout le monde est si méchant avec lui.
Il a pourtant dit à maman qu'il n'aimait pas le sang.
"Tu n'as pas été un gentil garçon... "
Elle lui avait donné un coup et était partie.
Maman ne l'aime pas, Faolàn le sait.
"Réponds-moi quand je te parle! Tu as faim oui ou non?"
Le petit garçon murmure "oui" et lève ses yeux implorant. Il sait que Maître a à manger dans sa poche.
L'homme lui fait un sourire candide et Faolàn a un peu peur.
Mais il a trop faim, son petit corps maigrelet a besoin de nourriture.
Il sera gentil...
"Suce!"

Faolàn se réveille en sursaut, cette fois ses yeux s'ouvrent, son coeur bat la chamade.
Cet homme... La même voix, les mêmes paroles....
Il referme lentement ses paupières, nauséeux, lorsqu'il se remémore ce qu'on lui infligeait pour des miettes de pain. Pourquoi ? Que leur ai-je fait?

Et sa mère. Sa chère et tendre mère. Toute son enfance, il a essayé de gagner son attention, il a cherché à ce qu'elle lui montre au moins un petit geste d'attention... Mais elle le laissait dans le froid. Sans manger. Seul. Et pourtant, il avait passé des années à s'endormir son nom sur ses lèvres et son image derrière les yeux. Faolàn sert un peu les poings. Il avait toujours aimé sa mère et elle l'avait toujours haït.

Pourquoi... Pourquoi...

Il ne sait pas qui est son père, non plus. Il ne sait pas d'où il vient. Maître l'avait vendu à Vam dans un état lamentable alors qu'il n'avait que 11 ans. Pendant quelques jours, il avait espéré que ce serait mieux. Qu'on le traiterait différemment. Mais même si Vam ne l'obligeait pas à jeûner, ni à dormir dans la boue, il l'obligeait à tenir une arme en main et faire du mal.

Faolàn avait tué une première femme à 12 ans.
Il avait violé à 14.
Tué des enfants à 15.

Il se souvient encore très bien de cette première femme. Le soir d'avant, quand Vam lui avait annoncé ce qu'il devrait faire, il avait pleuré et l'avait supplié. Vam n'avait eu aucune pitié. Il l'avait menacé de le renvoyer chez Maître après lui avoir fait sentir les conséquences de sa désobéissance. Le lendemain, on l'avait fait boire, ça lui avait brûlé la gorge, il ne sentait plus ce qu'il faisait. Au village, il avait alors tué cette femme, sans savoir qui elle était, lui regardant dans les yeux. Elle avait eut des beaux yeux... Bleus, avec des petites tâches de brun clair et ornés de longs cils noirs. Il l'avait égorgé, il avait eu son sang sur ses mains... Lorsqu'il en avait pris conscience, Faolàn était horrifié de soi-même.

Il l'enterra, après avoir quitté secrètement le camp.
Il se refusa la nourriture pour une semaine et pleura des nuits entière...
Il avait toujours détesté le sang.
Il n'avait jamais voulu blesser qui que ce soit.

Une larme roule le long de la joue de Faolàn. Il ne l'essuie pas. Freyja dort toujours contre lui et avec un petit effort, il se retourne et appuie sa tête contre son torse, ses longs cheveux lui caressant les joues, son odeur lui caressant les narines.

Une deuxième larme roule, il a un peu honte, cela fait longtemps qu'il n'osait plus se laisser aller aux émotions. Il renifle un peu et inconsciemment, Freyja lui passe une main endormie dans les cheveux...

Il se sent un peu mieux.
Il aime son contact...

La certitude le frappe en plein coeur.
Freyja... Freyja...
Ses sentiments tourbillonnent.
J'aime son contact? Je... Est-ce que je l'aime elle ?
On ne l'avait jamais aimé, lui. Il ne sait même pas comment l'amour fonctionne. Et Freyja ne verrait jamais plus en lui qu'un guerrier sauvage et cruel mais... Il voulait...

Faolàn déglutit.
Elle ne le saurait jamais. Il emmènerait son amour dans sa tombe. En attendant... En attendant il profiterait de chaque moment qui lui serait accordé. Il soupire douloureusement et se serre encore un peu plus de la jeune fille endormie.

Vénus a froidWhere stories live. Discover now