8. Grace

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« I think the worst part of growing up is starting to hate the ones you used to love. Then you sit there, staring in the dining room, and you try to love them but they hate you too (and you try to hate them but they love you too) » Nolune (Tangerine)

Je pense que le pire quand on grandit, c'est qu'on commence à détester ceux qu'on a aimés. Et on s'observe autour d'une table, tu essaies de les aimer mais ils te détestent aussi (tu essaies de les haïr mais ils t'aiment aussi).


Novembre 2000, Florence.

Comme tous les ans, je profite de la semaine de Thanksgiving pour rentrer en Italie voir ma grand-mère. Et comme tous les ans, j'espère que mes parents ne seront pas là. Gee, qui sent mes muscles se tendre, me prend la main quand la voiture pénètre dans le domaine. Le château a encore changé, mon père a ajouté des vignes sur le pan de la colline. Le chauffeur me fait confirme que mes parents sont bien là. Mes épaules se carrent, mon menton se hausse, je ne m'abaisserai pas devant ma mère. Surtout quand ils apprendront la nouvelle... Je resserre ma prise sur Gee qui ne se doute de rien. Ma mère veut me voir fiancée à un prince... je vais épouser son pire cauchemar.

Il va m'en vouloir. En rentrant à New-York, quand il réalisera la supercherie. Je lui aurai donné un aperçu de son plus gros désir, il devra retourner à Nancy et à nos mensonges.

Mes parents n'ont même pas fait le chemin jusqu'à l'entrée, c'est le portier qui nous ouvre et nous guide jusqu'à la première pièce de vie où mon père m'attend.

— Graziella, me salue-t-il.

— C'est Grace maintenant, dis-je froidement.

Je ravale les remords qui me brûlent la trachée. Mon père n'est pas quelqu'un de mauvais. Je n'ai aucune raison valable pour le détester. Pourtant, je ne m'inquiète ni de ses nouvelles rides, ni des cheveux gris qui parsèment son noir naturel.

— Elle te fait encore sa crise d'identité ? Râle ma mère avant d'apparaître dans mon champ de vision. Bonjour Gerald, bonjour Graziella.

Ses talons qui claquent sur le parquet dans un vacarme acerbe font écho à la résonance de mon prénom. Mes dents se serrent pour m'empêcher de lui cracher à la figure. À bas les bonnes manières, je suis une américaine à présent...

— Bonjour madame DeBardi.

Gee sait mieux se gérer que moi, sans aucun doute. Mon père l'observe, sans rien dire, trop concentré sur les mains qui nous lient. Il a remarqué.

— Ça nous fait plaisir de te revoir, sourit ma mère.

Hypocrite. Comme tout le monde dans cette famille, ce n'est pas étonnant que je sois une si bonne menteuse quand le mensonge coule dans mes veines.

Alors que j'allais prendre des nouvelles de ma grand-mèe, une fusée en robe bleue se dirige vers moi.

— Grace !

Je déteste cette gamine. Ma sœur. Elle, elle m'aime. Quand on est trop jeune, on aime tous ceux qui ne le méritent pas, on est encore aveuglés par la beauté du monde. À défaut d'avoir mon amour, elle mérite ma pitié : comme nous tous, elle n'a pas choisi de naître. Ma mère la garde près d'elle, il ne faudrait pas qu'elle s'approche trop de moi.

— Héléna, chérie, n'oublie pas d'appeler ta sœur par son prénom, pas un de ces surnoms idiots qu'elle se donne à elle-même.

Je redresse mon dos pour ne pas lui laisser une occasion de me faire une remarque. Ce n'est pas ça qui l'arrête. Elle sait que j'ai fait changer mes papiers et que je m'appelle officiellement Grace DeBardi-DeBeaucé. J'aurais dû rayer leurs noms de ma carte. J'aurais pris n'importe quoi comme nom, même Olsen ou fourchette, plutôt que les leurs.

Because of us ( TERMINÉE )Où les histoires vivent. Découvrez maintenant