29. Gerald

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« Seuls les hommes malades peuvent être artistes. C'est que leur souffrance les pousse à faire des choses qui remetttent un sens à ce monde. L'homme sensible ou artiste ne peut qu'être malade dans notre vie civilisée pleine de mensonges. »

Bram Van Velde

ou

" Les toiles sont les pages des journaux intimes des peintres. "

Zao Wou-ki






Février 2001, New-York.

— Grace m'a dit qu'elle passerait.

Ça fait vingt minutes que Nancy sans que je ne l'écoute, mais un prénom a réveillé mon cerveau qui quitte le mode automatique.

— J'espère qu'elle va pouvoir se libérer. Ça fait une semaine que je ne l'ai pas vue et je vis avec elle. Tu l'as vue, toi ?

Je marmonne quelque chose qu'elle prend pour un non et elle reprend.

— Moi qui pensais que son retour à Julliard allait nous permettre nous voir plus... s'épanche-t-elle. Ça fait des mois que je n'ai pas eu de vraie discussion avec elle.

Je passe un bras réconfortant autour de son dos comme nous approchons la galerie.

— Quand la danse appelle Grace, il n'est pas rare qu'elle oublie les gens qui l'entourent.

Je donne nos invitations à l'agent de sécurité qui me reconnaît. Nancy s'arrête alors que l'homme nous laisse passer, bloquant le passage pour les arrivants.

— Pourquoi tu ne l'appelles plus Gee ?

Son air suspicieux m'exaspère. Il faut être aveugle pour ne pas avoir remarqué ce qu'il se passe entre Grace et moi, mais cette fille est aveugle. Elle fait confiance à Grace, à sa mère, à moi. Ce serait presque mignon si ce n'était pas triste.

— On s'est un peu... éloignés depuis le décès de sa grand-mère. Elle était, comme qui dirait, le ciment de la famille.

Sauf que je n'ai jamais fait partie de cette famille. Le jour de l'enterrement d'Alice DeBardi, j'ai entendu Grace dire à Nevada qu'elle n'a accepté ma demande que pour faire plaisir à sa grand-mère. Au début, ça m'a énervé. Puis j'ai réalisé à quel point c'était vrai : Alice a été la seule personne à vraiment vouloir de moi chez les DeBardi-DeBeaucé.

Au final, Nancy a sa place dans ma famille. On est doués pour se voiler la face chez les Lense.

Les peintures exposées dans cette galerie le montrent bien. C'est la première fois que mon frère expose ses œuvres, les vraies, pas celles qu'il nous donne et nous vend une fois par an. Ces dernières ne représentent pas l'étendue de son talent.

La peinture qui borde l'entrée sont d'une adresse technique qui va au-delà de mon œil d'amateur. L'exactitude de son autoportrait est bluffante, elle n'a rien à voir avec les œuvres classiques qui peignent la réalité à la lumière près. Je dirais que c'est l'inverse. Détresse. C'est le nom du premier tableau que les clients verront. Mon frère a souligné chaque ombre de son visage comme s'il n'y avait qu'elles.

L'homme en face de nous est aussi beau que triste. L'environnement qui l'entoure semble être fait de terreurs et d'immondices qui ne lui laissent aucun répit. Il n'a pas de corps, seulement un visage, pourtant on arrive à avoir le doute, le manque d'assurance, la peur.

Because of us ( TERMINÉE )Where stories live. Discover now